
Insécurité alimentaire, accès à l'eau, déplacements de population, risques de conflits... le pire reste à venir, selon un rapport sur les impacts du changement climatique publié, lundi, par les scientifiques internationaux experts du Giec.
Des constats de plus en plus inquiétants et toujours la même rengaine : agir, agir vite. Le deuxième volet issu du cinquième rapport du groupe intergouvernemental d'experts de l'ONU sur l'évolution du climat (GIEC), a été rendu public lundi 31 mars, à Yokohama au Japon. "La probabilité d'impacts graves, étendus et irréversibles s'accroît avec l'intensification du réchauffement [climatique]", avertissent-ils.
Douze mille publications scientifiques ont été épluchées par les quelque 300 auteurs et 400 contributeurs internationaux de ce réquisitoire intitulé : “Changements climatiques 2014 : conséquences, adaptation et vulnérabilité”. Un premier volet de ce cinquième rapport a déjà été publié en septembre 2013, tandis que le troisième doit paraître mi-avril. Les conclusions du Giec sont attendues dans un rapport de synthèse à la rentrée 2014.
Présent au sein de la délégation française qui a participé aux travaux à Yokohama, Sylvain Mondon, du ministère du Développement durable, se félicite du travail abattu. “Nous venons de franchir une étape très importante. Le rapport du Giec nous permet de faire un véritable état des lieux de nos connaissances grâce à un processus transparent, tous les six ou sept ans”, explique-t-il à FRANCE 24. “Sur ces dernières années, nous avons pu remarquer un doublement des publications scientifiques sur le sujet, ce qui tend à prouver, et c’est une bonne chose, que la recherche investit de plus en plus car c’est un enjeu crucial. Et un enjeu qui touche à des domaines de plus en plus variés : agriculture, santé, biodiversité, économie…” Plus on étend nos connaissances, plus les climatosceptiques auront “du mal à réfuter nos arguments”, confie-t-il.
Pénurie d’eau, risques de conflit, ralentissement économique...
Principale conséquence du changement climatique soulignée par les experts onusiens : une insécurité alimentaire grandissante, qui influe sur la disponibilité de la nourriture et la stabilité des prix. Avec l'intensification des pluies dans certaines zones du globe, la sècheresse dans d’autres, la production alimentaire - principalement blé et maïs - a beaucoup souffert et, à ce rythme, va continuer d’en pâtir. Déjà amorcée, la fonte des glaciers, la pénurie d’eau douce et la dégradation de sa qualité vont de plus en plus durement toucher l’Afrique, l’Asie ainsi que le sud de l’Australie et accroître la pression sur les ressources dont disposent l’Europe et l’Amérique du nord.
Le rapport fait également état d’une aggravation des événements climatiques extrêmes, qui auront pour conséquence directe de vastes déplacements de population. Parallèlement, les problèmes sanitaires - causés notamment par des canicules ou de la malnutrition - vont faire de plus en plus de victimes. Il y a une semaine, l’Organisation mondiale de la santé tirait elle aussi la sonnette d’alarme sur la question sanitaire, en annonçant que la pollution avait été responsable de sept millions de morts en 2012.
Autant d’éléments qui vont, selon les scientifiques du Giec, augmenter les risques de “conflits violents" entre populations et communautés forcées de se battre pour leurs ressources vitales. Et même si, à l’échelle globale, les impacts économiques "sont difficiles à estimer", le Giec affirme que le réchauffement de la planète va "ralentir la croissance, (...) et créer de nouvelles poches de pauvreté".
Une série de mesures concrètes à prendre au plus vite
Hémisphère nord ou sud, “tous les continents et les océans” doivent se préparer au pire. Mais le panel du Giec, qui a reçu le prix Nobel de la paix en 2007, ne cherche pas à se comporter uniquement en grand moralisateur culpabilisant. Les scientifiques l’assurent, des solutions existent : l’installation de systèmes d'alerte et d'abris contre les cyclones et les inondations ; la protection des mangroves pour épargner les côtes ; l'amélioration du stockage d'eau et les techniques d'irrigation ; la création de nouvelles pratiques agricoles comme la permaculture ; de meilleurs programmes de vaccination ; la création de nouvelles zones protégées et l'identification de groupes vulnérables ; la diversification de l'économie... “Les risques liés au changement climatique peuvent être réduits en limitant sa vitesse et son ampleur”, dit le rapport.
Mais toutes ces opérations nécessitent également des actions gouvernementales et un changement de politique global. Ce que réclament à cor et à cri de nombreuses ONG, dont Greenpeace : “Les répercussions du changement climatique peuvent être plus ou moins néfastes en fonction des choix que nous faisons dès aujourd’hui. Pour éviter la catastrophe, il faut sortir des énergies fossiles et accélérer la transition vers un monde alimenté par les énergies propres et sûres”, ont récemment écrit dans une tribune Jen Maman et Kaisa Kosonen, deux cadres de l’organisation. Et d’ajouter : “Avec son rapport, le Giec nous rappelle de ne pas baisser les bras, car c’est notre sécurité qui est en jeu.”
Préparer le terrain pour la conférence COP21 à Paris en 2015
Depuis Paris, où il est en visite diplomatique, le secrétaire d'État américain John Kerry a semblé abonder dans le bon sens en déclarant que seules des décisions "rapides et courageuses" étaient capable d’enrayer la destruction de nos ressources. "On ne peut se payer le luxe d'attendre. Le prix de l'inaction serait catastrophique. Nier la science est une erreur." Le mois dernier, le chef de la diplomatie américaine avait également affirmé que le changement climatique était “probablement l’arme de destruction massive la plus redoutable sur la planète.” Une sortie des plus encourageantes, surtout lorsqu’elle provient des États-Unis, l'un des plus gros pollueurs de la planète avec la Chine.
Reste que, jusqu’à présent, les bonnes intentions des gouvernements ont plus abouti à des espoirs déçus qu’à un véritable accord mondial sur le climat. Depuis le dernier rapport du Giec en 2007, la communauté internationale a même accumulé les échecs à Copenhague, Cancun puis à Durban. Prochaines grandes échéances : Lima en décembre 2014 et surtout Paris en ,qui doit accoucher d’un accord très attendu.
“Je ne me fais aucune illusion sur les conclusions de la conférence de Paris-2015. Tout au plus aurons-nous quelques timides avancées sur quelques dossiers techniques”, commente pour FRANCE 24 Martin Beniston. Co-président du groupe "Impacts Climatiques" du Giec dans les années 1990 et actuel directeur de l’Institut des Sciences de l’Environnement de l’Université de Genève, il estime que “le monde occidental sera [peut-être] en train de sortir de sa plus longue crise économique et sera plus intéressé à consolider cette reprise plutôt que d’aborder des questions environnementales, dont l’échéance critique est souvent perçue comme étant dans un lointain avenir.” Près de 200 pays seront présents à la conférence COP21. Leur objectif : limiter le réchauffement à 2°C en moyenne par rapport aux niveaux pré-industriels, la trajectoire actuelle nous conduisant vers +4°C d’ici à la fin du siècle.
> Retrouvez l'intégralité de l'interview de Martin Beniston sur le blog environnement de FRANCE 24