Loin des soubresauts politiques et diplomatiques, des chercheurs israéliens et iraniens collaborent depuis plusieurs années pour construire en Jordanie, avec d'autres scientifiques de la région, le premier accélérateur de particule du Moyen-Orient.
Il était une fois des chercheurs israéliens et iraniens qui travaillaient ensemble pour mettre au point un projet scientifique collectif de grande envergure. En l’occurrence, la construction, en Jordanie, du premier accélérateur de particules du Moyen-Orient, un puissant appareil de radiographie destiné à des fins civiles et pacifiques (biologie, chimie, archéologie et sciences de l’environnement). Ce n’est pas un scénario surréaliste, mais bel et bien la réalité où la science fait fi de la diplomatie et de la politique.
Ce projet hautement ambitieux est né dans l’esprit de chercheurs israéliens et palestiniens, il y a une vingtaine d’années, grâce au répit offert par les accords d’Oslo. Le Centre international d’excellence technologique
Sesame (acronyme de l’anglais Synchrotron Light for Experimental Science and Applications in the Middle East) est lancé en 1999 en collaboration avec des chercheurs égyptiens, iraniens, israéliens, jordaniens, pakistanais, palestiniens, bahreinis, turcs et chypriotes.
En 2002, ce projet ambitieux est placé sous la tutelle de l’Unesco, par le biais d’une organisation de recherche indépendante. Ce qui permet de le garder à l’abri des contraintes politiques.
À l’heure où le gouvernement israélien refuse d’exclure une frappe militaire pour stopper le programme nucléaire iranien, que les deux puissances régionales ennemies ne cessent de s’invectiver par médias interposés, certains de leurs scientifiques continuent donc de collaborer sur terrain neutre, en Jordanie. Plus surprenant, les deux pays participent financièrement au projet à hauteur de plusieurs millions de dollars.
Le Sesame, "un accélérateur de paix"?
Pour les scientifiques, qui se défendent de faire de la politique, ce projet a valeur d’exemple. "Il s’agit d’une tentative de nombreux chercheurs de la région de prouver qu'il est possible de collaborer positivement en vue d'objectifs scientifiques qui servent les intérêts de chaque État de la région",
expliquait récemment à "Haaretz" l’Israélien Eliezer Rabinovici, l’un des pères du projet Sesame, et son vice-président depuis novembre 2013.
Ce professeur de physique théorique des hautes énergies, à l’Institut Racah de l’Université hébraïque de Jérusalem, explique que ce projet a été rendu possible "grâce à la confiance qui s’est établie au cours de nombreuses années de collaboration, loin des pressions que l’on trouve dans le domaine politique".
Et ce, même si ces scientifiques de la paix sont parfois directement rattrapés par la réalité. En 2010, deux Iraniens qui participaient au projet ont été tués dans un attentat à Téhéran, imputé par la République islamique au Mossad israélien. Les deux scientifiques étaient soupçonnés de travailler en parallèle sur le programme nucléaire iranien, bête noire de l’État hébreu. Une minute de silence a été observée par les chercheurs dans leur quartier général situé à une trentaine de kilomètres d’Amman, la capitale jordanienne.
Fatemeh Elmi, professeur de chimie iranienne, présentée comme "une figure de proue de Sesame", indique n’avoir cure des tensions entre son pays et Israël. "Je n’ai rien à voir avec la politique, je veux simplement faire de la bonne recherche", a-t-elle expliqué à l’hebdomadaire allemand "Der Spiegel", dans un article publié en février. Le même article, traduit en français par le "
Courrier international" rapporte que "Palestiniens, Israéliens et Iraniens se saluent comme de vieux amis, se demandent des nouvelles de leur famille et de leurs recherches". Idem pour les scientifiques turcs et chypriotes, alors qu’Ankara n’a jamais reconnu officiellement la République de Chypre.
Toujours est-il que la mise en service du synchrotron (accélérateur de particules) prévue pour l’année prochaine, malgré ses problèmes de financements, risque d’avoir lieu bien avant que la paix n’intervienne dans la région. La science ne peut pas tout.