
à Moscou – Alors que Vladimir Poutine profite des JO de Sotchi, d'où il prône la non-ingérence dans les affaires de Kiev, les porte-parole du Kremlin présentent désormais les membres de l'opposition ukrainienne comme des extrémistes à la solde de l'Europe.
Alors que la Russie était censée vivre à l'heure de ses - tant attendus - Jeux olympiques d’hiver, depuis le 18 février, l'Ukraine a volé la vedette aux pistes ensoleillées de Sotchi. Éditions spéciales dans les JT et gros titres dans la presse : le bain de sang ukrainien est en train d’éclipser le décompte des médailles olympiques...
Et les mots utilisés par les médias russes dessinent désormais un nouveau visage au conflit ukrainien. On ne parle plus de protestation de l’opposition mais de "tentative de coup d’État menée par des éléments radicaux", selon l’expression employée mercredi 19 février par Dimitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine. Soucieux de prouver la non-ingérence de la Russie dans le conflit, le président, pour sa part, reste imperturbable à Sotchi, où il s’attache à lustrer l’image de son pays aux yeux du reste du monde. Malgré tout, les mots sont lâchés, les médias proches du pouvoir peuvent ainsi s’engouffrer aisément dans la brèche. Et ils s’en donnent à cœur joie.
"Opération anti-terroriste"
Si en Occident, les images des médias montrent le calvaire des opposants ukrainiens, en Russie, on met en avant les forces de l'ordre. Sur Russia 24, la principale chaîne d'information en continu, les images des assaillants défilent en boucle tandis que la police, présentée comme héroïque, met vaillamment en place une "opération antiterroriste". "Terroriste", c’est désormais ainsi que sont qualifiés les opposants au gouvernement de Ianoukovitch. "Près de 400 policiers ont été grièvement blessés et 83 ont été touchés par balles", rapporte le quotidien "MK", publiant une photo d’un agent ensanglanté, à terre. Les dizaines de morts côté opposition sont, eux, relégués au second plan. "Kiev est remplie de haine, et d’un poison qui contamine ses rues (...) L’air y est devenu littéralement irrespirable, une épaisse fumée noire s’est formée au-dessus de lla place de l’Independance, où des manifestants font brûler des pneus. De nombreux habitants se plaignent de maux de tête", décrit Marina Perievozkina, correspondante du journal à Kiev.
Convaincue que l’opposition est "constituée de fanatiques depuis le début", "MK" revient sur ce conflit qui a débuté en novembre et dont l’escalade de la violence et la radicalisation étaient, selon le journal , tout à fait prévisible. "Tout s’est déroulé comme dans une histoire dont on connaîtrait déjà la fin (...) En fait, Kiev est en train de devenir un nouveau Grozny", peut-on lire. Une référence directe à l’histoire de la Tchétchénie, ravagée par deux guerres séparatistes contre Moscou dans les annees 1990.
L'hebdomadaire "Argumenti", pour sa part, pousse la comparaison encore plus loin et dénonce un insupportable impérialisme occidental mené de front par la chancelière allemande Angela Merkel. Selon un article du journaliste Viktor Kristianninov, l’Allemagne, en acceptant de rencontrer en début de semaine l’opposition ukrainienne, est en train de préparer "une invasion européenne de l’Ukraine" similaire a celle conduite contre l’URSS en 1941… par les troupes d’Hitler. Bien sûr, le nom du dictateur nazi ne figure aucunement dans l’article, mais la comparaison est bien là. "Merkel veut montrer au monde son rayonnement et son influence en se servant de l’Ukraine", écrit-il encore, ajoutant que dans ce contexte, le president ukrainien a refusé d’entamer des discussions avec la chancelière allemande.
Un rideau de fer sur l'Ukraine
Au-delà des comparaisons parfois douteuses, les spéculations sur le devenir de l’Ukraine vont également bon train. Et elles abondent toutes vers un inéluctable éclatement de l’Ukraine en deux, suivant un tracé digne d’un véritable rideau de fer aux relents de guerre froide. Cette scission entre une Ukraine de l’Ouest et une Ukraine de l’Est semble même être devenue en quelques jours le sujet favori des analystes et journalistes politiques russes.
"Vedomosti", quotidien économique réputé et considéré comme indépendant, a ainsi annoncé "les funérailles de l’Ukraine", jeudi matin, en une. Une infographie du quotidien "MK" illustre d'ailleurs la scission qui pourrait s’opérer dans le pays : les trois-quarts est du territoire sous contrôle gouvernemental (incluant Kiev) représenteraient un nouveau pays pro-russe, tandis que l’infime partie occidentale, où les institutions sont actuellement aux mains de l’opposition, reviendrait aux pro-européens.
Le journal fait également état du cas de la république autonome de Crimée, qui entretient des liens économiques et historiques avec Moscou. Certains Russes souhaitent que cette zone russophone, rattachée à l’Ukraine par l'URSS en 1954, revienne dans le giron. Moscou y détient notamment une base navale à Sebastopol. Une porte d’entrée stratégique sur la mer Noire.