La skieuse libanaise Jackie Chamoun, qui participe aux JO de Sotchi, se retrouve au cœur d’une polémique bien malgré elle, après la diffusion d'une vidéo la montrant seins nus lors d’une séance photo. Les internautes volent à son secours.
"Couvrez ce sein libanais que je ne saurais voir", aurait dû dire le Tartuffe de Molière. En proie à une vague de violences et d’attentats sanglants depuis plusieurs mois en lien avec la crise syrienne, et toujours en attente de la formation d’un gouvernement depuis avril 2013, le Liban s’est offert le luxe d’un scandale sur fond de seins nus.
L’actualité brûlante du pays du Cèdre a en effet été éclipsée, lundi 10 février, par une polémique provoquée par
la diffusion d'une vidéo montrant Jackie Chamoun, la seule skieuse libanaise qui participe aux JO de Sotchi, les seins nus lors d’une séance photo. Ladite séance photo, destinée à illustrer un calendrier autrichien consacré aux sportives de haut niveau, avait été organisée en 2011, sur les pistes de la célèbre station de ski libanaise Faraya.
L'ancien député Fares Souaid manifeste son soutien sur Twitter
Je supporte jacky chamoun qui a le droit dans un pays libre d'exercer sa liberte
— Fares Souaid (@FaresSouaid)
11 Février 2014
Problème, la vidéo et les clichés dénudés de la skieuse de 22 ans, diffusés sans son aval lundi par un média local, sont issus du making-of de la séance tandis que sur la photo qui figure dans le calendrier, la sportive cache sa poitrine avec des skis. Sans surprise, ces images ont fait le buzz après avoir été rapidement mises en ligne sur YouTube, Facebook et Twitter, où elles ont été allègrement commentées. Si la jeune femme essuie quelques critiques acerbes, la grande majorité des réactions sont positives.
"Protéger la réputation du Liban"
Dépassée par ce succès viral, Jackie Chamoun a publié, mardi matin,
un communiqué sur sa page Facebook, pour rappeler que la vidéo "ne devait pas être rendue publique". Et d’ajouter, anticipant la polémique à venir : "Je voudrais m'excuser auprès de vous tous, je sais que le Liban est un pays conservateur et qu'il ne s'agit pas de l'image qui reflète notre culture". Si le Liban est reconnu comme le pays le plus ouvert, le plus tolérant et le plus libéral du monde arabe, il est également un pays multiconfessionnel qui octroie un important pouvoir moralisateur aux responsables religieux. Une partie de sa population attachée aux traditions et aux mœurs sociales peut être heurté par des images de nudité. C’est sans doute à cette population que la skieuse a présenté ses excuses.
Toutefois, ce mea culpa n’a pas empêché l’intervention de la sphère politique dans cette affaire privée. Précisément, c’est la réaction du ministre sortant de la Jeunesse et des Sports, Fayçal Karamé, qui a mis le feu aux poudres. Ce dernier, qui appartient à la majorité parlementaire dite du 8 mars, dominée par le Hezbollah, a demandé mardi au Comité olympique libanais de mener une enquête rapide sur cette affaire. Il a également réclamé des mesures rapides en vue de "protéger la réputation du Liban", et d’empêcher toute atteinte à la notoriété du pays.
Le chef de la délégation olympique libanaise à Sotchi, Fadi Kairouz, a indiqué mardi soir que l'athlète ne sera pas suspendue et qu’elle participera bel et bien au slalom, le 21 février. Mais, il a précisé que l'enquête suivra son cours ultérieurement.
#StripForJackie
Ulcérés par cette sortie ministérielle et les menaces de sanctions, les internautes libanais se sont enflammés. "Des attentats chaque semaine, ce n'est pas un problème, mais quand Jackie Chamoun participe à une séance photos un peu osée, c'est le scandale", lance un twitto. "Tu as le droit de faire ce que tu veux, ne parle pas de pays conservateur, c'est un pays schizophrène", réagit un autre. Une campagne de solidarité se met en place sur les réseaux sociaux à la vitesse d’un tweet et la skieuse reçoit un nouveau flot de messages de soutien, d’encouragements et de félicitations. Certains hommes politiques expriment également leur soutien. "Je supporte Jackie Chamoun qui a le droit dans un pays libre d'exercer sa liberté", tweete l’ancien député Fares Souaid.
Dans la soirée, le hashtag
#StripForJackie (déshabillez-vous pour Jackie) a fait son apparition. Des dizaines de Libanais ont posté des selfies humoristiques en tenue légère. Patricia Charabati, alias @Charabati, en a fait de même. "Ce hashtag a été lancé par un ami, sur le ton de la plaisanterie, et voyant que des internautes avaient commencé par y adhérer, surtout des hommes, j’ai franchi le pas au titre de la solidarité féminine et publié ma photo en soutien à Jackie", explique à FRANCE 24 cette jeune femme de 23 ans. Et d’expliquer sa démarche : "cette affaire m’a énervée parce que ce sont surtout les politiques qui portent atteinte à la réputation du Liban, et ils ont eu le culot de s’en prendre à une sportive au lieu de se pencher sur les risques sécuritaires qui menacent le pays et de répondre aux besoins de la population, c’est un non-sens !".
Dans la presse, les condamnations pleuvent également mercredi 12 février. "Parce que les seins et le sourire de Jackie Chamoun représentent infiniment plus le Liban que les salafistes et autres takfiristes fous à lier de ce pays (…), parce que les seins, le sourire et les talents de Jackie Chamoun représentent infiniment plus le Liban que les mercenaires du Hezbollah qui soutiennent la barbarie des Assad en Syrie", s’emporte le journaliste Ziyad Makhoul
dans un billet publié dans les colonnes de "L’Orient-le Jour". Même dans
"Al-Akhbar", un journal réputé proche du Hezbollah, un éditorial signé par Pierre Abi Saab, demande aux "journalistes trash et aux politiciens stupides de laisser tranquille le derrière de Jackie".
De son côté, l’athlète des neiges n’aspire plus qu’à une chose : se concentrer sur la compétition et essayer d’améliorer son classement, elle qui avait terminé à la 54e place en slalom lors de ses premiers Jeux olympiques à Vancouver en 2010. "Tout ce que je vous demande c'est d'arrêter de la diffuser [la vidéo polémique, NDLR], car cela m'aidera à me concentrer, ce qui est important en ce moment c'est l'entraînement et la compétition", a-t-elle écrit sur sa page Facebook.