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Deux mois après le début de l'opération Sangaris, Roland Marchal, chercheur au CNRS, ne veut pas parler d'échec. Mais il n'envisage pas de sortie de crise sans une ambition politique et un soutien économique qui tardent à arriver.
Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, était en visite à Bangui, mercredi 12 février, deux mois après le lancement de l'opération Sangaris en Centrafrique. Les soldats français poursuivent leurs opérations de désarmement dans le pays où les violences entre chrétiens et musulmans sont quotidiennes.
Selon Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS, l'intervention française et africaine en Centrafrique, bien que tardive, ne peut pas être qualifiée d'échec. Il s'interroge sur le départ massif des populations musulmanes et ne voit pas de sortie de crise sans accompagnement politique et économique, toujours quasi inexistants.
FRANCE 24 : Deux mois après le début de l'intervention, l'opération Sangaris peut-elle être qualifiée d'échec ?
Roland Marchal : On ne peut pas parler d'échec. Les violences que l'on observe aujourd'hui auraient été encore plus massives et sanglantes s'il n'y avait pas eu d'intervention – dont il faut d'ailleurs rappeler la dimension internationale et pas que française. Certes, elle n'a pas réussi à tout contenir mais elle a désamorcé la bombe et réduit un peu la violence, qui de toute façon aurait éclaté.
Il y a des éléments de normalisation, il y a moins de morts qu'il y a un mois mais la violence persiste et la situation reste dramatique. Il y a un potentiel criminel assez paradoxal dans une ville où patrouillent des milliers de soldats étrangers.
Ce que l'on peut en revanche reprocher à la France et aux troupes africaines, c'est d'être intervenus aussi tard. Des questions doivent être posées et des leçons tirées : la Micopax, ancêtre de la Misca, a dysfonctionné bien avant la prise de Bangui par la Séléka, en décembre 2012. Cela a empiré ensuite. Les Français ont accepté que cela continue sans rien faire.
Les militaires français sont en train recentrer leur action sur les milices de défense anti-balaka, qui s'en sont pris aux musulmans ces dernières semaines. Est-ce une bonne chose ? Ne se dirige-t-on pas vers une Centrafrique sans musulmans ?
Les déclarations du général français Soriano [qui a affirmé que les anti-balaka étaient des "ennemis de la paix" et qui a promis de les traiter comme des "bandits", NDLR] sont bienvenues mais je regrette qu'elles n'aient pas eu lieu au moment de Noël. La posture militaire contre ces milices aurait dû être plus forte d'emblée. Sur ce point, il faudra tirer le bilan de la stratégie de l'opération Sangaris, polarisée sur la Séléka en oubliant la dimension politique des milices anti-balaka.
Une Centrafrique sans musulmans me paraissait totalement absurde jusqu'à il y a peu. Mais ce que j'entends de mes amis musulmans, c'est qu'il s'agit d'une revendication de plus en plus forte de la population. Et je dois admettre que je ne comprends pas.
Cela me rappelle ce qui s'était passé en Ouganda dans les années 1970, lorsqu'Idi Amin Dada avait expulsé les Indiens et les Pakistanais. Une décision saluée alors par le peuple mais qui avait ruiné l'économie. En Centrafrique, le départ des musulmans a largement été acté par les anti-Balaka et non par une politique d'État. Mais des pans entiers de l'économie étaient gérés par les musulmans. À Bangui, il n'y a désormais plus de viande, d'oignon ou d'ail car c'étaient des marchands musulmans qui se chargeaient de l'acheminement, notamment depuis le Cameroun, et de la vente de ces produits.
Une fois l'urgence passée, il aurait fallu, dès la fin décembre, des actions politiques, économiques, même symboliques, dans le nord-est, région d'origine de la Séléka, pour dire aux populations : 'Vous faites partie de la Centrafrique et vous serez associées à sa reconstruction'. Cela n'a pas été fait et c'est inacceptable. L'ambassadeur de France n'est pas allé lancer de projets en dehors de Bangui. On a nommé des ministres Séléka qui perçoivent leur traitement et ne font eux-même rien pour leur région d'origine.
Comment envisager une sortie de crise en Centrafrique ?
Mis à part des beaux discours, la France, l'Union européenne, les États-Unis ou encore les Nations unies ne font rien. On parvient à trouver plusieurs centaines de millions d'euros pour financer l'opération militaire et on peine à en rassembler quelques dizaines pour la reconstruction économique du pays. Or, c'est au travers de l'économie que l'on montrera aux communautés qu'elles ont besoin les unes des autres.
De plus, il faut qu'il y ait un engagement de la part des autorités centrafricaines. La nouvelle présidente, Catherine Samba-Panza est intelligente et semble avoir une vision mais son gouvernement est en-deçà de ce que l'on pouvait espérer. À Sibut [ville située à 180 km au nord de Bangui, passée sous le contrôle d'ex-rebelles de la Séléka fin décembre 2013, NDLR], aucun ministre centrafricain ne s'est déplacé ! Ni le ministre de la Défense, ni celui de la Sécurité ou encore de la Réconciliation. Ce sont les soldats de l'opération Sangaris et de la Misca qui ont dû gérer la situation.
On pourra toujours envoyer des soldats supplémentaires financer – on sait le faire – une force de maintien de la paix de l'ONU [comme le demande la présidente centrafricaine, NDLR]. Tout cela n'a de sens que s'il y a une volonté politique forte venue de Centrafrique dans le sens de la réconciliation. Les Centrafricains doivent être acteurs de cette sortie de crise et peut-être qu'avec des actions très concrètes, on arrivera à faire revenir les musulmans.