Le ministre français Arnaud Montebourg défend une technique "propre" d'exploitation du gaz de schiste pour remplacer la fracturation hydraulique, interdite en France. Une supercherie selon Thomas Porcher, économiste et pourfendeur du gaz de schiste.
Alors que la fracturation hydraulique est officiellement interdite en France, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, se penche, selon le “Canard Enchaîné” du 29 janvier, sur une technique alternative pour extraire le gaz de schiste. Il s’agit d’une méthode expérimentale respectueuse de l’environnement, qui consiste à utiliser du fluoropropane à la place de la très controversée fracturation hydraulique.
De quoi semer la zizanie au sein d’une gauche particulièrement divisée sur la question du gaz de schiste. Les écologistes y sont farouchement opposés, à cause de son impact qu'ils jugent néfaste sur l’environnement, tandis qu’une partie des socialistes se disent favorables à son exploitation, pour des raisons de compétitivité. Après les révélations du “Canard Enchaîné”, la réaction d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. “Qu'est-ce qu'une technique propre, quand il s'agit de [creuser aussi profond] ? Il n'y a pas seulement la question de la pollution de l'eau, il y a aussi celle de la stabilité des terrains", a déclaré, au micro de RTL, Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale du parti écologiste. Celle-ci a également rappelé que le gaz de schiste était une énergie fossile, donc émettrice de gaz à effet de serre. Son utilisation risquerait de contrarier l’objectif de réduire de 30 % d'ici 2030 la consommation d'énergies fossiles – pétrole, gaz et charbon – en France fixé par François Hollande en septembre dernier.
Le fluoropropane est-il véritablement plus propre ? Quel recul avons-nous sur son utilisation ? Quel impact économique ce type de fracturation peut-il avoir en France ? FRANCE 24 a fait le point avec Thomas Porcher, économiste, professeur en matières premières à l'école de commerce parisienne ESG MS et auteur du livre intitulé "Le Mirage du gaz de schiste".
FRANCE 24 : Que sait-on de la fracturation au propane ? Est-elle vraiment plus propre ?
Thomas Porcher : Des tests sur la fracturation au propane ont déjà révélé, il y a quelques années, qu’il s’agissait d’une matière extrêmement inflammable et donc dangereuse. Le fluoropropane dont parle Arnaud Montebourg serait une version traitée et donc beaucoup moins inflammable. Mais nous ne disposons d’aucune expérimentation pour le certifier. Nous n’avons absolument aucun recul pour affirmer qu’il s’agit d’une méthode plus propre que la fracturation hydraulique.
FRANCE 24 : Qu’est-ce que la France aurait à gagner en se lançant dans la fracturation au propane ?
Thomas Porcher : Je ne vois pas quel avantage la France pourrait en tirer. Il existe de nombreuses alternatives à la fracturation hydraulique. Mais si cette technique est choisie partout dans le monde, c’est bien évidemment parce que c’est la moins chère. La fracturation hydraulique représente aujourd’hui 56 % du coût total d’extraction qui comprend la technique, l’infrastructure de forage et les coûts de transport.
Si la France se mettait à la fracturation au propane, la facture serait bien plus élevée car le fluoropropane traité est bien plus onéreux que l’eau. Il faudrait également comptabiliser les coûts d’expérimentation, qui reviendraient assez cher, étant donné que nous serions les seuls au monde à utiliser cette technique.
À cela s’ajoutent les raisons qui font déjà que la fracture hydraulique en France serait plus chère qu’au États-Unis, pays “modèle” en la matière. À savoir : nous manquons cruellement d’infrastructures, notre cadre réglementaire est bien plus contraignant et notre système de transport des énergies est bien moins abouti.
FRANCE 24 : En écartant la fracturation au propane et donc l’exploitation du gaz de schiste, la France ne se prive-t-elle pas d’un atout pour relancer sa compétitivité ?
Thomas Porcher : Peu importe la méthode d’exploitation, si le gaz de schiste est aussi compétitif aux États-Unis, c’est avant tout parce que le prix du gaz y a été divisé par trois ces dernières années. Pour que ce soit rentable en France, il faudrait que les prix du gaz baissent aussi en Europe. Et rien n’indique que ça sera le cas au cours des prochaines années. Le marché du gaz européen ne fonctionne pas comme aux États-Unis : nous sommes beaucoup plus rigides et nos prix sont indexés sur ceux du pétrole.
Alors, si la France espère relancer sa compétitivité en s’appuyant sur le secteur des énergies, elle va devoir passer par un véritable dumping énergétique, comme aux États-Unis. Une extraction propre implique forcément moins d’effets économiques. En d’autres termes : entre écologie et compétitivité, il faut choisir !
Finalement, cette sortie d’Arnaud Montebourg n’est, rien d’autre, selon moi, qu’un cheval de Troie pour progresser sur l’acceptabilité du gaz de schiste. Même si François Hollande a promis qu’il n’y aurait pas d’exploitation sous ce quinquennat, Arnaud Montebourg veut rouvrir le débat et faire avaler, petit à petit, la pilule aux Français, qui sont majoritairement contre. [Selon le baromètre annuel Qualit'EnR-Ifop publié le 29 janvier, moins d'un quart des Français (24 %) sont favorables au développement du gaz de schiste comme source d'énergie en France, NDLR.]
FRANCE 24 : Pendant que la France interdit le gaz de schiste, ailleurs en Europe et notamment au Royaume-Uni, les entreprises injectent des milliards dans ce secteur. Que faire pour ne pas être à la traîne ?
Thomas Porcher : La France et la Bulgarie sont les deux seuls pays au monde à interdire formellement la fracturation hydraulique. Nous ne sommes pas l’Arabie saoudite. On ne pèse pas assez lourd pour lancer et imposer une nouvelle technique – la fracturation au propane – alors que tout le monde a déjà adopté la fracturation hydraulique.
Plutôt que de brasser de l’air en sortant une méthode alternative sans aucun recul, nous devrions commencer par dépenser notre énergie de façon utile, en essayant par exemple de conduire un maximum d’études et de recherches d'impacts économiques, avant même de commencer à creuser. Nous aurions également besoin d’un cadrage sur le nombre de puits maximum qui peuvent être implantés dans nos régions. Et nous pourrions également essayer de calculer justement l’impact du gaz de schiste sur les populations avoisinantes (santé des habitants, baisse du coût de l’immobilier dans les secteurs exploités…). Il suffirait pour cela de répliquer les études faites aux États-Unis en prenant en compte la densité de population bien plus élevée en France.
Pour compter dans le secteur des énergies non-conventionnelles sur la scène internationale, il ne suffit pas d’être le premier car le premier producteur est également celui qui épuisera sa réserve en premier, nous avons tout à gagner à attendre que ce soit en termes sanitaires ou économiques.