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"L’Irak est dans l’impasse"

Insurgés sunnites et forces fidèles au gouvernement chiite s'affrontent depuis plusieurs jours dans la région d’Al-Anbar, en Irak. Une situation dont le pays pourrait avoir du mal à se relever, selon l'analyste Myriam Benraad.

En Irak, la province à majorité sunnite d'Al-Anbar s’embrase. Vendredi 3 janvier, au moins 32 civils ont été tués dans des affrontements à Ramadi et Fallouja, deux villes du "triangle sunnite" que des insurgés opposés au Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, contrôlent partiellement.

Par ailleurs, 62 combattants d'Al-Qaïda, présents dans les affrontements, ont été tués dans la région située à l'ouest de Bagdad, a annoncé Ahmed Abou-Rishas, chef des milices sunnites pro-gouvernementales Sahwa. Cette zone est le théâtre de violences confessionnelles depuis plus de dix ans. Explications avec Myriam Benraad, spécialiste de l’Irak et analyste au Conseil européen des Affaires étrangères (ECFR).

FRANCE 24 : Pourquoi la situation en Irak dégénère-t-elle maintenant ?

Myriam Benraad : C’est la conséquence principalement de la politique menée par le Premier ministre Nouri al-Maliki (chiite) depuis 2006, qui a conduit à la marginalisation politique des sunnites et leur exclusion du processus de transition. Dans les faits, pour comprendre la situation d’aujourd’hui, il faut remonter à décembre 2011.

À l’époque, alors que les troupes américaines viennent tout juste de quitter le pays, le vice-président, Tarek el-Hachemi (sunnite), est visé par un mandat d’arrêt, qui le contraint à l’exil et fragilise la stabilité déjà précaire entre sunnites et chiites. Cela a fragilisé l'équilibre instauré par les Américains entre sunnites et chiites au sein du gouvernement. Un an plus tard, en décembre 2012, les gardes du corps de l’ancien ministre des Finances, Rafeh al-Issawi [un sunnite membre du bloc laïc Iraqiya, NDLR], sont interpellés. Ces arrestations ont marqué le point de départ des manifestations dans les régions à majorité sunnite du pays. Dernièrement, la situation s’est encore envenimée avec l’arrestation du député sunnite Ahmed al Alouani et l’envoi de l’armée pour écraser les manifestations.

F24 : Face à cette situation, comment réagissent les tribus sunnites ?

M.B. : Dans l’ensemble, les sunnites ne parviennent pas à opposer un front commun au gouvernement central. Les tribus sont profondément divisées : certaines plaident pour un dialogue pacifique avec Bagdad - ce qui n’a jamais porté ses fruits -, d’autres réclament l’instauration d’une région autonome. D’autres encore se sentent trahies : ces dernières années, elles ont été financées par les États-Unis pour lutter contre Al-Qaïda et bénéficiaient d’un certain nombre de privilèges. 

Mais contrairement à ce qui leur avait été promis, elles n’ont pas été intégrées dans l’appareil sécuritaire et militaire du pays. De plus, depuis le départ des Américains, ces milices répondant au nom de Sahwa ["réveil" en arabe, NDLR] ne reçoivent plus l’argent que leur versaient les forces d’occupation US pour combattre aux côtés des troupes régulières. Leurs membres sont considérés comme des traîtres par les insurgés sunnites et sont fréquemment la cible d'attaques. 

F24 : Quel est le rôle de l'État islamique d'Irak et du Levant (EIIL), mouvance issue de l'organisation d'Al-Qaïda, dans ces combats ?

M.B. : Ces djihadistes capitalisent sur le sentiment anti-gouvernemental et sur les divergences entre tribus pour recruter dans leurs rangs. Certaines se sont ainsi alliées aux combattants salafistes, d’autant que ceux-ci offrent des compensations financières pour la conduite d'attentats.

Actuellement, le pays se trouve dans une impasse, il est très difficile d’envisager une quelconque amélioration. Le gouvernement de Bagdad est dans une logique de surenchère et le seul moyen d’enrayer la radicalisation des sunnites aurait été de les ramener vers le processus politique, ou de les intégrer dans les rangs de l’armée et des forces de sécurité, mais ces mesures tardent.