
Le président vénézuélien Nicolas Maduro est accusé par l'administre Trump d'être à la tête du "Cartel de los Soles", un cartel à l'existence contestée. AP - Ariana Cubillos
Le président vénézuélien Nicolas Maduro, déjà accusé par les États-Unis de complicité avec le narcotrafic, est plus que jamais dans le viseur de Washington. Dimanche 16 novembre, le département d’État de Marco Rubio a annoncé son intention d’inscrire le "Cartel de los Soles", une prétendue mafia criminelle vénézuélienne, sur la liste des organisations terroristes. Pour l'administration américaine, celle-ci serait dirigée par Nicolas Maduro, faisant ainsi de lui un parrain de la drogue.
Pourtant, son existence formelle n’est pas admise par les experts des cartels de la drogue et de l’Amérique latine. De même, ses liens avec Nicolas Maduro et les cadres de son régime sont loin d'être prouvés.
Cependant, pour Washington, tout ou une partie du gouvernement vénézuélien est lié à ce cartel, y compris le très puissant ministre de la Défense Vladimir Padrino ou le ministre de l’Intérieur Diosdado Cabello.
Pas un cartel comme les autres
"Le 'Cartel de los Soles', avec d’autres organisations terroristes désignées, dont "Tren de Aragua" et le "cartel de Sinaloa", est responsable de violences terroristes dans tout notre hémisphère ainsi que du trafic de drogues vers les États-Unis et l’Europe", a justifié le ministère des Affaires étrangères américain dans son communiqué.
Marco Rubio a précisé que cette inscription sur la liste des organisations terroristes serait effective à partir du 24 novembre, sauf si le Congrès s’y opposait.
Cette sanction - l’une des plus sérieuses dans l’arsenal des mesures antiterroristes de Washington - intervient alors que les États-Unis n’en finissent pas d’augmenter la pression politique et militaire sur le régime de Nicolas Maduro depuis début septembre. Outre les attaques contre les bateaux accusés de transporter de la drogue en mer des Caraïbes - 21 bombardements revendiqués par Washington depuis le mois d'août -, les États-Unis ont aussi autorisé la CIA à agir sur le sol vénézuélien. La semaine dernière, Washington a annoncé l'envoi du plus grand porte-avions nord-américain, qui est arrivé dans la mer des Caraïbes, à proximité du Venezuela.
L’inscription du Cartel de los Soles sur la liste des organisations terroristes crée une nouvelle controverse. En effet, "il ne peut pas être comparé à un cartel traditionnel", assure Thomas Posado, spécialiste du Venezuela à l’université de Rouen.
Il n’y a aucune organisation au Venezuela qui revendique le nom de Cartel de los Soles, au même titre que d’autres cartels arborent fièrement leur appellation, que ce soit le cartel de Sinaloa au Mexique ou le Clan del Golfo en Colombie.
"Les premières occurrences de ce nom remontent à 1993 dans la presse vénézuélienne, où ce terme est utilisé pour désigner des complicités entre les militaires, les policiers et des fonctionnaires avec des narcotrafiquants", souligne Thomas Posado.
Depuis lors, cette dénomination s'est installée "pour critiquer la corruption sous Hugo Chavez, puis sous Nicolas Maduro", précise Pablo Uchoa, spécialiste du Venezuela et de la corruption en Amérique latine à l’University College de Londres.
Un autre nom pour la corruption d'État ?
Mais contrairement aux affirmations de l’administration américaine, "ce n’est pas une organisation avec un organigramme ou une hiérarchie. Ainsi, il est inexact de dire que Nicolas Maduro serait le chef de ce cartel", ajoute Pablo Uchoa.
"C’est un réseau informel de fonctionnaires des services de sécurité vénézuéliens, et principalement des responsables militaires, qui profitent du trafic de drogue passant par le Venezuela", résume Brian Phillips, spécialiste du terrorisme et de la criminalité internationale à l’université d’Essex.
Le Venezuela est, en effet, "un pays de transit pour des quantités très importantes de cocaïne venant de la région des Andes, essentiellement de la Colombie, de la Bolivie et du Pérou", explique Rubrick Biegon, spécialiste de la politique étrangère des États-Unis à l’université de Kent et auteur de "US Power in Latin America: Renewing Hegemony" ("La puissance américaine en Amérique latine : renouveler l’hégémonie"). "Comme le Venezuela se trouve sur la côte Est de l’Amérique latine, c’est l’une des principales portes pour l’exportation de cocaïne vers l’Europe", précise Brian Phillips.
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Il y a donc beaucoup d’argent à se faire pour des officiels corrompus. Mais "cette infiltration de l’appareil d’État par des cartels de la drogue jusqu’au plus haut niveau existe ou a pu exister aussi dans d’autres pays de la région comme la Colombie, l’Équateur ou le Mexique", affirme Thomas Posado. Pour certains experts, il y a cependant des différences de degré : "le niveau de corruption au Venezuela et d’implication directe dans le trafic de drogue de certains membres de l’armée ou du gouvernement est inhabituel, même pour la région", estime Brian Phillips.
L’existence médiatique de cette appellation de "Cartel de los Soles" représente une aubaine pour Donald Trump et son ministre des Affaires étrangères, Marco Rubio. Donner corps à cette organisation et en faire un cartel d’État "représente probablement un projet personnel de Marco Rubio et sa clique, qui militent activement pour le renversement du régime Maduro", assure Rubrick Biegon.
Justifier une action militaire ?
"Dépeindre l’État vénézuélien comme une organisation narco-terroriste revient à faire de Nicolas Maduro un criminel, ce qui peut aider à justifier politiquement certaines décisions que Washington peut vouloir prendre", estime Rubrick Biegon.
Les États-Unis pourront ainsi poursuivre tous ceux qui soutiennent son régime. Cette mesure pourrait donc isoler un peu plus le Venezuela sur la scène internationale.
Donald Trump pourrait aussi être tenté d’aller plus loin encore et d’en faire le préalable à une action militaire. Le président américain y a d’ailleurs fait allusion, assurant dimanche que cette désignation permettrait à l’armée américaine de cibler "les avoirs de Nicolas Maduro et les infrastructures [du pouvoir]".
Cette interprétation trumpienne de la loi américaine ne convainc pas Brian Phillips, qui a étudié les conséquences légales de l’inscription sur la liste américaine des organisations terroristes. "Il n’y a rien dans les textes qui établit un lien entre l’inscription sur cette liste et un éventuel droit de déclarer la guerre à un pays. Ce sont deux choses très distinctes", note cet expert.
Mais Donald Trump peut être tenté de prendre des libertés avec la loi. En effet, si le pouvoir vénézuélien est assimilé à une organisation terroriste, "cela revient à dire qu’il représente une menace directe pour la sécurité nationale des États-Unis", souligne Pablo Uchoa. Il serait ainsi plus facile politiquement pour Donald Trump de "contourner le Congrès pour mener des frappes militaires sur le sol vénézuélien", conclut Thomas Posado.
