Joëlle Bourgois, première femme ambassadrice de France en Afrique du Sud, a connu l’apartheid et son abolition. Pour FRANCE 24, elle livre un témoignage touchant en racontant son amitié avec Nelson Mandela.
Élancé, élégant, un sourire ravageur et des allures de prince. Voilà le Madiba de Joëlle Bourgois. Première femme ambassadeur de France en Afrique du Sud, cette diplomate chevronnée est de ceux qui ont noué une relation singulière avec Nelson Mandela. Relation entretenue bien au-delà des cinq années qu’elle a passées en Afrique du Sud, de 1991 à 1995.
Leur première rencontre remonte au 12 février 1991, date du premier anniversaire de la libération de Nelson Mandela, incarcéré durant 27 ans. Après avoir présenté, la veille, sa lettre de doléances au président de l’époque, Frederik De Klerk, la diplomate fraîchement débarquée de France décide d’aller à la rencontre de Nelson Mandela, alors que l’Afrique du Sud vit toujours sous le régime de l’apartheid. “Il se trouvait dans le township de Soweto. Il m’attendait entouré d’un comité d’accueil composé des vieux ‘staliniens’ de l’ANC. J’étais assaillie de questions de toutes parts, mais Madiba, lui, ne me parlait pas. Pas un mot. Autant dire que ma première impression fut loin d’être bonne”, se souvient-elle. Une fois les discussions achevées, Nelson Mandela s’est alors levé pour la raccompagner. “Il m’a pris par le bras et nous avons échangé nos premiers mots.”
Leur discussion fut brève mais pour Joëlle Bourgois, le coup de foudre a été immédiat. “Sa détermination m’a tout de suite frappée. Il avait une aura inexplicable. Je me suis immédiatement mise à son service. Pour moi, si un homme pouvait éviter à ce pays de plonger dans la guerre civile, c’était bien lui”, raconte-t-elle, alors que le monde entier craignait un bain de sang. “Dès lors, toute ma stratégie d’ambassadeur a découlé de cette rencontre.”
“Un humour décapant et un ami fidèle”
Au fil du temps, de leurs travaux et autres discussions, Joëlle Bourgois s’est découvert un véritable ami. “ Je n’ai jamais autant ri qu’avec Nelson Mandela”, rapporte-t-elle, la voix empreinte d’émotion. “Je me souviens des soirées passées à écouter, aux côtés de mon mari et mes deux filles, le récit de sa captivité avec un humour décapant. Il ne se plaignait jamais.”
À part son sens de la formule inouï, Joëlle Bourgois a apprécié son caractère fondamentalement altruiste et totalement désintéressé. “Quand j’allais chez lui, on avait toujours l’impression qu’il n’était que de passage. Il n'y avait rien, il avait peu de possessions personnelles, ni d’attache matérielle.” Une attitude qui se ressentait beaucoup sur sa politique. “Le jour où il a accepté, avec réticence, d’être président, il a prévenu que ça n’était que pour un seul mandat car selon sa vision de la démocratie, on n’exerce pas le pouvoir pour le garder”, explique-t-elle.
Malgré son départ d'Afrique du Sud, le lien entre Nelson Mandela et la famille Bourgois, dont il affectionnait particulièrement les deux filles, ne s'est jamais rompu. "C'était un ami fidèle. Dès qu'il était en France ou pas loin d'où je me trouvais, il me téléphonait. Souvent pour prendre un petit déjeuner car nous avions en commun de nous lever toujours aux aurores..." Lorsque pour le 14-Juillet 1996, Jacques Chirac décide de convier le premier président noir d'Afrique du Sud aux célébrations françaises, c'est au bras de Joëlle Bourgois que Nelson Mandela fait son arrivée. "Et pourtant, je n'était pas conviée par l'Élysée, précise-t-elle. Mais Madiba avait insisté pour m'emmener. Je me souviens encore comme nous avons ri lorsque les équipes de l'Élysée m'ont vu débarquer à la tête de la délégation sud-africaine !"
“Madiba a beaucoup de successeurs potentiels”
Les anecdotes et les bons souvenirs avec ce Madiba du quotidien, Joëlle Bourgois les raconte à la perfection, toujours avec un trait de nostalgie non dissimulé. Aujourd’hui, elle se dit “soulagée” de sa disparition. “Ces derniers mois, j’ai trouvé intolérable qu’il soit réduit à l’état de mort-vivant. Il fallait que ça cesse.” Désormais, pour la diplomate comme pour beaucoup d’autres, Nelson Mandela a accédé au rang d’”immortel”. “L’une de ses plus grandes forces aura été de dépasser toutes les mesquineries de l’Homme. À mes yeux, il s’est hissé presque au niveau d’un chef religieux, d’un Gandhi ou d’un Bouddha.”
Il laisse à l’Afrique du Sud, “un socle solide”, notamment grâce à la Constitution “bétonnée” qu’il a élaboré. “Lorsque j’ai découvert les Sud-africains, ils semblaient porter sur leur visage trois siècles de servitude. Aujourd’hui, ils ne sont pas forcément plus riches ou plus heureux mais c’est un peuple libre et uni.” Grande source d’inspiration à en juger par la teneur des hommages dithyrambiques rendus à travers la planète, nombreux sont ceux qui lui cherchent à tout prix un héritier. “Madiba a beaucoup de successeurs potentiels, il y a beaucoup de gens de grande valeur en Afrique du Sud, estime Joëlle Bourgois. J’en connais un notamment, Cyril de Ramaphosa, qui a toutes les qualités requises. En tant que que secrétaire général de l’ANC sous Mandela, il a conduit les négociations constitutionnelles et possède donc une certaine légitimité historique. Devenu homme d’affaires milliardaire, il n’est pas corruptible”.
Reste que si la relève est bien présente, l’Afrique du Sud de Nelson Mandela et celle de Jacob Zuma ne sont pas tout à fait les mêmes. “Le progrès s’est arrêté, la corruption a fait son grand retour à tous les niveaux de l’État, même parmi les subalternes qui détiennent un brin de pouvoir, il n’y a plus de direction affichée… En d’autres termes on régresse”, explique-t-elle, sans pour cela s’inquiéter. Car si un héritier unanime se fait attendre, le legs de Madiba a, aux yeux de tous, mis l’Afrique du Sud sur les bon rails. “Et n’oublions pas que ce pays n’a que 20 ans. Il est bien trop tôt pour désespérer”, conclut Joëlle Bourgois, avec tout l’espoir et l’optimisme mesuré qui l’ont accompagnés depuis le début de sa grande histoire d’amour avec la nation Arc-en-Ciel.