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Les femmes, premières victimes des révolutions arabes

La Thomson Reuters Fondation publie son classement sur le droit des femmes dans les pays arabes. En queue de classement, l’Égypte, où, comme dans les autre pays du Printemps arabe, la condition des femmes s’est détériorée depuis la Révolution.

Les Printemps arabes ont fait tomber des dictatures. Mais pour les femmes, ils ont apporté de nouveaux dictats.  Dans une étude publiée mardi, la Thomson Reuters Fondation établit un classement d’experts sur les droits de la femme dans les 22 pays de la Ligue arabe.

En tête de classement, les Comores, archipel de l’océan Indien, où les femmes occupent 20 % des postes ministériels, où la contraception est largement acceptée, et où les femmes sont le plus souvent les bénéficiaires des biens du foyer après un divorce ou une séparation.

L’Égypte arrive en queue de peloton, juste après l’Arabie saoudite où les Saoudiennes n’ont pas le droit de conduire et doivent demander l’autorisation de se déplacer ou de travailler à une "autorité masculine".

L’Égypte, championne du harcèlement
Être une femme en Égypte et ne pas avoir subi de harcèlement sexuel relève du miracle : 99,3 % des Égyptiennes ont été victimes d’un abus au moins une fois dans leur vie, selon un sondage publié en 2013 par une commission de l’ONU. Un chiffre qui fait froid dans le dos et qui contribue à faire de l’Égypte le pire des pays arabes où vivre en tant que femme.
"L’acceptation sociale du harcèlement quotidien touche chaque femme en Égypte, en dehors de toute considération d’âge, de catégorie socio-professionnelle, de statut social, marital, quelle que soit leur manière de s’habiller ou de se comporter", constate Noora Flinkman, chargée de communication de HarassMap, un groupe d’activistes au Caire qui fait campagne contre le harcèlement.
L’Égypte se distingue dans toutes les catégories : harcèlement sexuel, mutilations génitales, violences morales, mariages forcés, lois discriminatoires, trafic humains, taux d’alphabétisation… 91 % des femmes – sur un total de 27,2 millions – y sont mutilées selon l’Unicef ; seul Dijbouti fait pire avec 93 %.
La dictature religieuse
Classement Thomson Reuters Fondation

Les droits des femmes dans les pays arabes:

22. Egypte
21. Irak
20. Arabie Saoudite
19. Syrie
18. Yémen
17. Soudan
16. Liban
15. Territoires palestiniens
14. Somalie
13. Djibouti
12. Bahreïn
11. Mauritanie
10. Emirats arabes unis
9. Lybie
8. Maroc
7. Algérie
6. Tunisie
5. Qatar
4. Jordanie
3. Koweït
2. Oman
1. Comores

En Égypte, comme dans les autres pays des Révolutions arabes, le tournant post-dictatorial a porté un sérieux coup aux droits des femmes. Elles avaient pourtant été parmi les premières à se mobiliser, manifestant pour la fin des dictatures, pour plus de libertés, plus de droits. Pour elles, la démocratie ne pouvait naître que de l’égalité entre les sexes.
Mais trois ans après, elles sont les premières à en subir les conséquences et les dictats religieux ont remplacé les dictatures politiques. La montée de l’islamisme et le maintien du patriarcat comme principe structurant de leur société ont été un frein sévère à l’amélioration de leurs droits. D’après le classement de Thomson Reuters Fondation, trois des cinq pays ayant participé aux printemps arabes – Égypte, Syrie et Yémen – font partie des cinq pays les moins bien classés. La Libye arrive 9e du classement et la Tunisie 6e.
En Égypte, l’arrivée au pouvoir des Frères Musulmans et l’élection de l’islamiste Mohamed Morsi a légèrement amélioré la représentation des femmes en politique, mais elle n'a, dans l’ensemble, fait qu’aggraver leur condition. "On a dégagé Moubarak de son palais présidentiel mais on doit toujours dégager le dictateur qui habite nos esprits et nos chambres à coucher", a déclaré l’éditorialiste égyptienne Mona Eltahawy dans le rapport. En juin dernier, lors des manifestations anti-Morsi, 91 femmes étaient encore abusées en public sur la place Tahrir au Caire, selon Human Rights Watch (HRW).
Les Tunisiennes peinent à maintenir leurs acquis
Les Tunisiennes aussi se sentent menacées, alors que la Tunisie était l’un des états les plus progressistes du monde arabe. En 1956, le Code du statut personnel (CSP) proclamait "le principe de l’égalité de l’homme et de la femme" sur le plan de la citoyenneté, interdisant la polygamie et la répudiation et autorisant le divorce et l’avortement, 19 ans avant la loi Veil en France.
Mais les islamistes d’Ennahda, au pouvoir depuis 2011, prônent le retour des valeurs traditionnalistes. Le rapport avance même que, si 27% des députés sont des femmes, la polygamie bien qu'illégale s'y répandrait. Par ailleurs, les lois sur l'héritage ont tendance à favoriser les hommes. L’enquête note également que les abus domestiques et viols conjugaux sont  rarement punis. "Bien qu’elles soient les victimes, les femmes se sentent souvent honteuses et ont tendance à se rendre responsable des viols et violences domestiques dont elles font les frais", regrette Christine German, de l’Initiative Munathara, un forum de débats indépendants.
Une affaire de femmes ?
Les plus optimistes notent cependant que les révolutions arabes ont permis de démocratiser la question du droit des femmes qui était jusqu’alors réservée à une élite.  "Les droits des femmes n’étaient débattus que par la crème de la crème des femmes de la société égyptienne. Mais avec la Révolution, ces questions sont descendues dans la rue et ont été discutées par des femmes ordinaires ou illettrées", explique Nihad Abul Komsan, directrice du centre égyptien pour le droit des femmes. Ce n’est pas rien dans un pays où 37 % d'entre elles sont analphabètes, selon Reuters Fondation. Reste que le droit des femmes n’est pas juste une affaire de femmes.