logo

"Triangle de l'horreur" : des centaines de corps exhumés d'un charnier en Bosnie

En deux mois, 360 corps ont été exhumés du charnier de Tomasica, en Bosnie-Herzégovine, découvert début septembre. La région a été l'une des plus marquées par les campagnes d'épurations ethniques au cours de la guerre civile entre 1992 et 1995.

Les sacs mortuaires blancs s’alignent depuis début septembre sur le site d'une ancienne mine de fer, à Tomasica, dans le nord-ouest de la Bosnie. En près de deux mois, les autorités ont retourné des milliers de mètres cubes de terre, ont ratissé 5000 m2 de terrain… Fin octobre, ils ont recensé 360 corps exhumés. Ceux, à en croire les papiers d’identité retrouvés sur place, de civils croates et bosniaques tués dans leur village au cours de la guerre intercommunautaire de Bosnie-Herzégovine (1992-1995).

Les enquêteurs ne s’attendaient pas à découvrir autant de corps. Ils poursuivent les fouilles sur ce site, où, selon eux, "plusieurs centaines" d'autres cadavres pourraient être exhumés dans les semaines à venir. Le plus grand charnier à ce jour, en Bosnie-Herzégovine, avait été découvert à Crni Vrh, près de Srebrenica, où 629 corps ont été exhumés en 2003.

Selon l’Institut bosnien pour les personnes disparues, Tomasica est lié à un autre charnier, découvert à quelques dizaines de kilomètres de là, où les corps de 373 personnes avaient été découverts en 2001. Les auteurs du massacre auraient déplacé des cadavres d’une fosse à l’autre à l’aide de bulldozers pour tenter de masquer l’ampleur de leur crime : les restes de certaines victimes ont été retrouvés dans les deux charniers.

Épuration ethnique

Tomasica se trouve à environ 20 kilomètres de la ville de Prijedor, où la politique d’épuration ethnique a été l’une des plus violentes au début des années 90. Au cours de la guerre, les Serbes chrétiens orthodoxes y ont massacré des milliers de Bosniaques musulmans et de Croates catholiques. Aux alentours de Prijedor se trouvaient trois grands camps de concentration – "le triangle de l’horreur" - où ont été enfermées et affamées plusieurs milliers de personnes.

L’Institut bosniaque recherche encore 1 200 des 3 000 personnes de la région portées disparues. Les enquêteurs espèrent les retrouver dans le charnier de Tomasica.

La plupart des victimes retrouvées dans le charnier ont été tuées dans leurs villages. Leurs corps ont ensuite été amenés sur le site pour y être brûlés. Mais lors des fouilles, les enquêteurs ont également retrouvé des balles d’armes à feu. Ce qui indique, selon le procureur Eldar Jahic, que certaines personnes ont été amenées vivantes au bord de la fosse et ont été exécutées, corroborant le récit de certains témoins.

Près du charnier, quelques visiteurs assistent aux exhumations. Vahina Behlic, 51 ans, est venue spécialement de Slovénie, où elle vit avec sa famille depuis qu’elle a fui son village d’origine, Zecovi, près de Prijedor, pendant le conflit. La quinquagénaire recherche sa mère, Fatima, exécutée devant sa maison par des soldats serbes. "Je l’ai su par à un témoin qui a survécu aux exécutions grâce à sa grand-mère, qui s’est jetée sur lui et l’a caché avec son corps, raconte-t-elle. Il a dit que 32 personnes avaient été tuées dans le village ce jour-là. En me tenant debout ici, j’ai l’impression qu’ils me regardent depuis en bas".

Avec dépêches