Depuis plusieurs semaines, la rumeur enfle dans les médias et sur les réseaux sociaux : une bataille d'ampleur se prépare en Syrie pour la reprise de Qalamoun, une région contrôlée par la rébellion que le Hezbollah libanais entend reconquérir.
La presse libanaise l’évoque comme une certitude. La bataille de Qalamoun en Syrie se prépare et elle devrait être féroce. Elle n'a pas encore eu lieu que le quotidien libanais "L’Orient-Le-Jour" la qualifie déjà de "titanesque". Depuis plusieurs semaines, il se murmure des deux côtés de la frontière qu’une offensive d’ampleur dans le but de reprendre la région de Qalamoun est imminente. Située au nord de Damas, cette région montagneuse est aujourd’hui en grande partie contrôlée par la rébellion syrienne.
Et c’est au Liban qu’on se prépare le plus pour cette bataille. Des sources proches du Hezbollah, citées par la presse libanaise et anglophone, ont ainsi affirmé que le mouvement armé chiite libanais se préparait à y participer en force. Ce ne serait pas la première fois que le parti protégé par l’Iran viendrait prêter main forte à Damas. Cela avait été déjà le cas lors de la bataille de Qousseir, bastion de la rébellion frontalier du Liban que le régime syrien avait repris avec l’aide du Hezbollah et avec force roulement de tambours en juin 2013.
Le charismatique chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait alors justifié l’intervention par la nécessité de protéger les chiites libanais qui vivaient dans la région. Il avait également annoncé que ses hommes n’hésiteraient pas à se battre pour protéger certains hauts lieux du chiisme en Syrie, comme le mausolée de Sayda Zeinab, près de Damas, des assauts des djihadistes qui ont rejoint les rangs de la rébellion syrienne.
Isoler Aarsal, base arrière des rebelles syriens au Liban
Dans l’autre camp aussi on est sur les dents. "Il semble que l’offensive a déjà commencé mais faiblement. Nous nous attendons à une grosse offensive d’ici deux à trois jours", a confié au quotidien libanais "Daily Star" le 25 octobre Abou Omar, un habitant d'Aarsal, qui sert de coordinateur logistique à la rébellion syrienne.
Mais quel est l'intérêt pour le Hezbollah de chasser les rebelles syriens du mont Qalamoun ? "Qalamoun est à l’extrémité sud de la Bekaa, région libanaise considérée comme le fief du Hezbollah", observe Frédéric Pichon, historien spécialiste de la Syrie. "En s’engageant dans cette bataille, le mouvement de Nasrallah cherche à protéger ses terres et la frontière par laquelle nombre de combattants sunnites passent dans un sens ou dans l’autre", explique l’historien spécialiste de la Syrie.
En effet, au cœur de la Bekaa, se trouve précisément Aarsal, localité sunnite, qui dès le début du conflit, a servi de base arrière aux rebelles syriens. Ces derniers trouvent là-bas ravitaillement, armes et soins médicaux.
"Le Hezbollah cherche depuis le début à contrôler la frontière et à stopper l’afflux de combattants rebelles vers la Syrie. Si Qalamoun est repris aux rebelles, Aarsal sera totalement isolée et la logistique de la rébellion syrienne en prendra un coup", poursuit Frédéric Pichon. Par ailleurs, observe ce dernier, dans la région de Qalamoun, les combattants du Hezbollah resteraient à distance raisonnable de leurs bases au Liban. "Il est peu probable qu’Hassan Nasrallah envoie ses hommes combattre à Alep [dans le nord de la Syrie] par exemple", estime le chercheur. En somme, en se battant en Syrie, le Hezbollah chercherait à se renforcer sur ses propres terres.
Qalamoun, une zone stratégique pour le régime et les rebelles
Pour le régime, reprendre Qalamoun n’est pas à première vue une priorité. Mais à y regarder de plus près "elle correspond à la stratégie de sanctuarisation utile du pays, dans laquelle Damas est engagé depuis plus d’un an", explique Frédéric Pichon.
Le régime syrien s'est en effet concentré depuis plusieurs mois sur le centre du pays dans le but de sécuriser les routes qui relient le littoral syrien, que l'on considère comme le pays alaouite [communauté du président Bachar al-Assad], à la capitale, cœur du pouvoir.
Depuis plus d’un an et demi, les rebelles ont fait de ces montagnes qui surplombent l’axe Damas-Homs leur fief. C’est dans cette région également que se sont repliées les brigades de combattants anti-Assad qui ont été chassées de Qousseir en juin. Pour le régime, la présence de plusieurs milliers de combattants sur cette route qui relie le littoral à la capitale et en assure le ravitaillement est une menace. Pour les rebelles, l’emplacement est stratégique notamment en raison de la géographie des lieux et de sa proximité avec la frontière libanaise.
Reste que même si la zone est stratégique, une éventuelle reprise des montagnes de Qalamoun serait une victoire dont l’impact militaire serait mineur si on le replace dans l’ensemble du territoire. Puisque, comme le fait remarque Frédéric Pichon, "pour vraiment peser sur la stratégie des rebelles, il faudrait que le régime reprenne le contrôle de sa frontière nord avec la Turquie, ou encore de celle du sud par laquelle transite la majorité des combattants", remarque le chercheur.
Interrogé par FRANCE 24 en juin à propos de la stratégie du régime, qui semble privilégier des cibles de moindre importance, Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherche sur la Méditerranée et le Moyen-Orient, avait expliqué que c’était une caractéristique de la stratégie de contre-offensive du régime : "Au lieu d’attirer l’attention sur une bataille difficile et de longue haleine comme celle d’Alep, par exemple, il préfère communiquer sur une bataille plus facile d’accès, qu’il est sûr de remporter. Autant de reconquêtes symboliques et dont il sortira couvert de gloire". On a ainsi pu observer cela lors de la bataille pour la reprise de Qousseir en juin, ou encore lors de la reprise des derniers quartiers rebelles de Homs en août dernier.
Pour l’heure, la bataille annoncée n’est pas encore livrée mais les violences gagnent la région. Des combats d’une intense violence qui ont lieu depuis le 21 octobre autour de la ville de Mahin, non loin du mont Qalamoun, pour la prise d’une base militaire très importante laisse penser qu’elle en est à ses prémices. En moins d’une semaine, plus de 100 personnes ont déjà péri dans les combats pour la prise de cette armurerie. L’armée syrienne mène également une campagne de bombardements depuis plusieurs jours sur des fiefs rebelles situés dans la région.