![Longtemps pro-régime, la ville de Raqqa vit désormais à l’heure islamiste Longtemps pro-régime, la ville de Raqqa vit désormais à l’heure islamiste](/data/posts/2022/07/18/1658161854_Longtemps-pro-regime-la-ville-de-Raqqa-vit-desormais-a-l-heure-islamiste.jpg)
Longtemps restée à l'écart de la révolte et fidèle au régime, la ville septentrionale de Raqqa a été prise début mars par des groupes djihadistes. Aujourd'hui l'État islamique en Irak et au Levant impose sa loi aux habitants excédés.
Tombée tardivement aux mains de la rébellion au printemps 2013, la ville de Raqqa est la
Un raid de l’armée syrienne sur un lycée à Raqqa a causé la mort d’au moins 16 personnes dimanche 26 septembre. La plupart d’entre eux étaient des lycéens et des étudiants.
Dans un rapport rendu public mardi, Human Rights Watch a dénoncé ce bombardement au cours duquel l'armée syrienne a eu recours aux bombes à effet de souffle selon l’ONG. Lama Fakih chercheuse chez Human Rights Watch à Beyrouth explique à FRANCE 24 que "le régime mène actuellement une campagne intensive de bombardements dans la zone de la base 17 de l’armée syrienne au nord de Raqqa". La base 17 est assiégée depuis le mois de mars par les rebelles. De violents combats font rage entre ces derniers et l’armée régulière pour le contrôle de la base. Reste que si la ville même de Raqqa est peu ciblée en général, "le régime mène parfois des bombardements à l’aveugle, et n’hésite pas à cibler des civils comme dans le cas du lycée dimanche", dénonce Lama Fakih.
seule capitale de province de Syrie à échapper au contrôle du régime. La cité septentrionale, qui compte environ 200 000 habitants ne connaît pas pour autant la tranquillité. Outre les raids du régime et les combats qui font toujours rage aux portes de la ville, Raqqa vit depuis plusieurs mois sous le coup des règles imposées par les islamistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL).
Pourtant Raqqa n’a pas toujours été le fief djihadiste qu’elle est devenue aujourd’hui. Restée près de deux ans à l’écart de la révolte, elle comptait parmi les soutiens du régime. C’est même là-bas que le président syrien Bachar al-Assad était allé célébrer la fête musulmane de l’Aïd al-Fitr en 2012, et chercher l’appui des chefs de tribus très puissants dans la région. Aujourd’hui, l’EIIL, affilié à la branche irakienne d’Al-Qaïda, contrôle la ville après en avoir chassé d’autres djihadistes, ceux du Front al-Nosra qui s’en étaient emparés les premiers. Selon certains témoignages, l’EIIL se serait même approprié un bâtiment de la ville dont elle aurait fait son QG officiel.
Les nouvelles règles de l’EIIL
L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a ainsi rapporté samedi 28 septembre que l’EIIL avait imposé aux enfants de porter la tenue islamique pour se rendre à l’école. "L'Etat islamique en Irak et au Levant a interdit aux fillettes l'école primaire et aux plus âgées d'assister aux cours à moins qu'elles ne portent la tenue islamique comprenant une abaya (longue tunique, ndlr), des gants et un voile", a affirmé l‘OSDH. Les garçons devront pour leur part avoir "l'habit traditionnel pakistanais et la tête couverte", a ajouté l'OSDH, citant des militants djihadistes.
Et l’EIIL ne s’est pas contenté de cela. Jeudi, les combattants du même groupe avaient incendié des statues et des croix dans deux églises de Raqqa et détruit les croix de leurs clochers. Des images amateur des destructions ont rapidement circulé sur Internet. Selon les témoignages d’habitants de la ville postés sur les réseaux sociaux, ils auraient également transformé les églises en QG.
Ce n’est pas la première fois que l’EIIL cible des minorités. "En juin déjà ils s’en étaient pris violemment à des villages chiites dans la vallée de l’Euphrate", rappelle Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et directeur du Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient. "Ce sont eux également qui avaient détruit les églises de Deir El Zor (au nord-est de la Syrie)", poursuit le chercheur qui relativise toutefois la portée de ces attaques. "Les chrétiens ne représentent pas plus de 1% de la population de Raqqa", observe-t-il.
Pour Frédéric Pichon, historien spécialiste de la Syrie et de ses minorités, ces attaques ne sont pas surprenantes de la part de tels groupes. "Cela participe de leur logique qui refuse tout ce qui n’est pas islamique", explique-t-il, insistant sur le fait que les chrétiens ne sont pas ciblés en tant que tels mais au même titre que les autres minorités religieuses syriennes.
À force d’exactions l’EIIL s’aliène la population
L'opposition syrienne a de son côté rapidement condamné les attaques contre les églises de Raqqa qu’elle a qualifiées d’"agression". "L'agression de ce qu'on appelle l'EIIL contre l'église de l'Annonciation à Raqqa, et sa transformation en une base militaire, est contraire aux règles morales et viole un droit de l'Homme essentiel", a dénoncé la Coalition nationale syrienne dans un communiqué. Pour l'opposition, l'EIIL est "un groupe hors de la révolution syrienne et ne représente en aucun cas les aspirations du peuple syrien". De plus, ce groupe djihadiste se rapproche des méthodes du régime quand il attaque "l'héritage du peuple syrien en matière de civilisation et de religion", a insisté le communiqué.
Une proximité avec le régime dont l’EIIL est souvent accusé par certains Syriens. "Je ne peux pas affirmer, comme beaucoup de gens le font ici, qu’ils sont alliés au régime, mais la connivence de leurs intérêts est évidente. Ils combattent pareillement les libertés, la démocratie et la société civile, et leurs cibles prioritaires sont les activistes laïcs", affirmait ainsi un Raqqaoui à l’envoyée spéciale du quotidien Libération Hala Kodmani qui a tout récemment séjourné dans la ville. "Leurs positions ne sont jamais visées par l’aviation ou l’artillerie alors qu’ils tiennent toutes les entrées de Raqqa", a souligné un autre habitant cité dans le même article.
Dans les régions contrôlées par l'opposition, des témoignages de plus en plus nombreux font état d'abus de la part de l'EIIL contre des rebelles et des civils, incluant des enlèvements et des exécutions publiques. Au début de la révolte en Syrie, les rebelles qui cherchaient désespérément de l'aide avaient accueilli les djihadistes, en majorité des étrangers. Mais à force d'abus, ces derniers, notamment ceux de l'EIIL, se sont aliénés une grande partie de la population. Samedi, une vidéo amateur diffusée sur Internet montrait une manifestation anti-EIIL à Raqqa, avec des militants portant les grandes croix saccagées par les djihadistes. "Raqqa libre ! Daech dehors", scandaient les manifestants, Daech étant l’acronyme en arabe du groupe djihadiste.
Manifestation samedi 28 septembre à Raqqa contre l'EIIL
Luttes intestines
"Au début l'EIIL et al-Nosra étaient dans la même mouvance", explique à France 24 Fabrice Balanche. "Il y a eu une scission quand la branche irakienne d'Al-Qaïda a affirmé que le Front al-Nosra dépendait d'elle. Le chef syrien d'al-Nosra, Al Golani a refusé d'être inféodé à Al-Qaïda en Irak et affirmé dépendre de l'organisation générale d'Al-Qaïda", poursuit le chercheur.
Il explique encore que même si les deux groupes qui s'opposent aujourd'hui ont la même idéologie, ils ne sont pas perçus de la même manière : l'EIIL est composé en majorité d'étrangers contrairement au Front al-Nosra dominé par des Syriens.
"L’EIIL, composé en majorité de combattants étrangers, est souvent perçu par les Syriens et par les combattants même islamistes comme une sorte d’ingérence étrangère", observe Frédéric Pichon. "Ils suscitent pour le moins la méfiance", poursuit-il. Durant les derniers mois, les tensions latentes entre rebelles et islamistes ont éclaté au grand jour et des combats ont opposé des factions rebelles dans plusieurs points du pays.
Le mois dernier, la Brigade Ahfad al-Rassoul a combattu l'EIIL à Raqa. Au début de l'été, des affrontements ont opposé rebelles locaux et combattants de l'EIIL à Idleb, province du nord-ouest de la Syrie. Et dans la région côtière de Lattaquié, l'EIIL a également été accusé d'avoir assassiné Abou Bassir, un chef rebelle populaire. Le point culminant de cette guerre interne pouvant être considéré comme la prise de la ville de Azaz au nord d’Alep par l’EIIL au détriment de l’Armée syrienne libre (ASL).
Reste que ces luttes intestines en plus d’affaiblir la rébellion sont du pain béni pour le régime. "Les combats entre les ennemis du peuple ne peuvent que signifier la fin prochaine du terrorisme", a ainsi déclaré fin août à l'AFP un responsable des services de sécurité à Damas.