, envoyée spéciale au Kenya – Bien que les Shebab somaliens aient revendiqué la prise d’otages de Nairobi, l'identité des assaillants reste une énigme. Les autorités kenyanes pointent du doigt Al-Qaïda, mais d'autres scénarios sont également plausibles.
Alors que les combats ont repris mardi 24 septembre au matin entre l'armée kenyane et "un ou deux" hommes armés dans le centre commercial de Westgate, à Nairobi, le mode opératoire des assaillants révèle une autre facette du mouvement djihadiste somalien qui a revendiqué l'attaque. "Un seuil a été franchi avec cet événement", explique Matt Bryden, directeur du think tank Sahan Research, basé à Nairobi. "En Somalie, nous avons constaté une évolution progressive partant de simples opérations-suicides à des attaques hybrides plus complexes, impliquant à la fois des hommes armés et des kamikazes. Maintenant, nous pouvons voir qu'ils ont réussi à exporter cette tactique à travers la frontière vers le Kenya".
Nairobi accuse Al-Qaïda
En s’attaquant à la grande métropole politiquement stable et économiquement prospère qu’est Nairobi, cette offensive des djihadistes somaliens rappelle l’attaque terroriste qui frappa le cœur de Bombay en 2008.
Assiste-t-on à un phénomène de pollinisation transfrontalière des idées ? À une mutualisation de la formation et au partage des ressources dans les milieux djihadistes ? "Ce phénomène n’est pas nouveau, note Cédric Barnes, directeur du projet Corne de l'Afrique de l'ONG International Crisis Group, basé à Bruxelles, puisque nous savons et nous avons des preuves que les combattants djihadistes venus du sous-continent indien - l’Afghanistan et le Pakistan - traversent le Moyen-Orient vers l’Afrique de l'Est et jusqu’en Afrique de l'Ouest."
Dans une interview accordée lundi à la chaîne qatarie Al-Jazira, la ministre kenyane des Affaires étrangères, Amina Mohamed, a déclaré qu’Al-Qaïda était responsable de l’attaque du centre commercial de Nairobi et que le groupe islamiste somalien des Shebab, qui a revendiqué le carnage, n'agissait pas seul. Cette distinction entre les Shebab pourtant affilié à Al-Qaïda et la nébuleuse terroriste elle-même a poussé les analystes à expliquer les méandres des relations complexes entre les différents groupes djihadistes.
"C'est comme un partage de codes ou d'une opération conjointe où les djihadistes profitent de l'expérience des Shebab et de l'ensemble du réseau Al-Qaïda, explique Cédric Barnes. L'attaque du Westgate est trop sophistiquée, trop bien organisée pour avoir été dirigée uniquement depuis la Somalie. Celle-ci a eu besoin d’une planification à long terme, qui a dû nécessiter une présence et des préparatifs réalisés sur le sol kenyan."
Des groupes djihadistes kenyans impliqués ?
Alors que les Shebab ont revendiqué leur attaque sur Twitter avec grandiloquence, certains analystes estiment qu’il faut se pencher sur le cas de groupes djihadistes locaux basés au Kenya. Les enquêteurs pourraient notamment s’intéresser de près au groupe kenyan Al-Hijra, implanté dans la région côtière du Kenya et aussi à Majengo, un bidonville tentaculaire de Nairobi. Ce groupe est réputé être également présent à Eastleigh, un quartier à majorité somalienne de la capitale kenyane.
"Ce n’est pas un groupe somalien, mais son chef, Ahmed Iman Ali, qui s'est rendu en Somalie en 2009 où il s'est incorporé aux Shebab, décrypte Matt Bryden. Depuis lors, plusieurs combattants d'Al-Hijra se sont rendus en Somalie pour y être formés." La Corne de l'Afrique abrite différents groupes djihadistes, certains sont nationalistes et concentrent leurs actions sur un plan national, tandis que d’autres opèrent en dehors de leurs frontières. Parfois, leurs agendas peuvent correspondre et donner naissance à des attaques sophistiquées bien planifiées.
Un autre spécialiste de la Corne de l'Afrique, Abdullahi Halakhe, affirme que dans la bataille interne qui oppose en Somalie "le mouvement djihadiste transnational et le mouvement nationaliste somalien", c’est le premier qui a pris l’ascendant sur le second.
Pour comprendre d’où est partie l’attaque qui ensanglante depuis trois jours la capitale kenyanne, il y a l’accusation lancée par la chef de la diplomatie kenyane qui désigne Al-Qaïda, une charge qui sonne juste aux oreilles des capitales occidentales engagées dans la lutte contre le terrorisme. Mais c’est dans la complexité de la nébuleuse djihadiste régionale que réside vraisemblablement la responsabilité de l’attaque du Westgate Mall de Nairobi.