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Seif al-Islam et l’ancienne garde rapprochée de Kadhafi devant la justice

Des piliers du régime libyen de Mouammar Kadhafi ont comparu jeudi devant une chambre d'accusation de Tripoli, alors que le fils de l’ex-raïs a été présenté à un tribunal de Zenten (ouest), où il est détenu par des ex-rebelles depuis novembre 2011.

Leurs procès ont eu lieu dans deux villes distinctes. Alors que près d’une trentaine de responsables de l’ancien régime libyen ont comparu jeudi 19 septembre devant un tribunal de Tripoli, Seif al-Islam, fils de l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi, était jugé dans le cadre d'une autre affaire à Zenten, dans l’ouest du pays.

"Tous les accusés ont rejeté en bloc les charges retenues contre eux", a déclaré à l'AFP un de leurs avocats, précisant que l'audience a été ajournée au 3 octobre à la demande de la défense.

Au moins 11 chefs d'accusation ont été retenus contre les dignitaires de l’ancien raïs, dont assassinats, pillage et sabotage, actes portant atteinte à l'union nationale, complicité dans l'incitation au viol, enlèvement et dilapidation des deniers publics. Abdallah al-Senoussi (ex-chef des services de renseignement) et Al-Baghdadi al-Mahmoudi (le dernier Premier ministre de Kadhafi) figuraient parmi les personnalités présentes dans le box des accusés, tous vêtus de l'uniforme bleu de détenus.

"Ce qui est intéressant, c’est la créativité des charges reprochées à ces anciens dirigeants. Il y a tout et son contraire : crime contre l’humanité, trafic de drogue, viols, l’insulte au drapeau national", souligne sur FRANCE 24 Alexandre Vautravers, directeur du Département de relations internationales à l’université de Webster à Genève. "On peut se demander de quelle justice il s’agit. C’est abusif, la moitié de ces charges sont difficiles à tenir. On peut parler d’une justice d’exception et de vengeance".

Quelque 40 000 documents et 4 000 pages d'interrogatoires

D’après la loi libyenne, la chambre d'accusation a le pouvoir de rejeter les accusations, de les accepter ou de demander un complément d'enquête. Un processus qui pourrait prendre de un à plusieurs mois, d’autant que quelque 40 000 documents et 4 000 pages d'interrogatoires devraient être soumis au tribunal. Cette affaire pourrait ainsi déboucher sur le procès le plus important dans l'histoire de la Libye.

Face à l’enjeu de cette audience qui s’est tenue à huis clos dans un complexe pénitencier où sont détenus la plupart des responsables de l'ancien régime, le niveau de sécurité était à son comble. Des dizaines de membres de familles des victimes du massacre de la prison d'Abou Salim en 1996 se sont rassemblés devant le tribunal pour réclamer la tête d'Abdallah Senoussi, accusé d'avoir commandité une fusillade dans cette prison qui a coûté la vie à 1 200 détenus politiques.

"Vous êtes des traîtres. Comment pouvez-vous défendre ces assassins ?" a lancé une manifestante aux avocats des prévenus à leur sortie du tribunal, après un peu plus d’une heure d’audience.

Seif al-Islam refuse toujours d'être jugé à Tripoli

Cette journée a néanmoins été marquée par l'absence de Seif al-Islam. Arrêté en novembre 2011 dans le sud du pays par des ex-rebelles, soit un mois après la mort de son père, le fils aîné de la seconde épouse de Mouammar Kadhafi a, lui, comparu jeudi devant un tribunal de Zenten dans le cadre de son procès pour "atteinte à la sécurité nationale". Cette procédure, débutée en janvier 2013, a été entamée après qu'une délégation de la CPI, qui comprenait une avocate de Seif al-Islam, a été accusée de lui avoir apporté un stylo-caméra pendant une visite en juin 2012 et de tenter de lui transmettre une lettre codée de son ancien bras droit, Mohammed Ismaïl.

Seif al-Islam est apparu dans le box grillagé des accusés, flanqué de deux gardes cagoulés, parés de gilets pare-balles. Il a pu s'exprimer à la demande de son avocat, selon des images présentées comme exclusives diffusées par la chaîne satellitaire Al-Arabiya.

"Au regard de la bonne marche des procédures judiciaires (...) je veux que les procès pour toutes les accusations à mon encontre aient lieu à Zenten", a indiqué Seif al-Islam .

Malgré la demande de transfert à Tripoli formulée par le procureur général libyen, la brigade à l’origine de l’arrestation de celui que l’on présentait comme l’héritier de l’ex-Guide argue que les conditions de sécurité ne sont pas réunies. Les autorités libyennes de transition affirment néanmoins qu'il est détenu dans un centre pénitencier sous l'autorité de l'Etat. Le procès a été ajourné au 12 décembre.

Seif al-Islam et Abdallah al-Senoussi font l'objet de mandats d'arrêt internationaux de la CPI qui les soupçonne de crimes contre l'humanité lors de la répression de la révolte.

"Il y a trois juridictions qui se disputent la possibilité de juger Seif al-Islam : le pouvoir local composé de groupes armés, le pouvoir central qui a envie de faire un tout autre procès des anciens dirigeants et la justice internationale", analyse Alexandre Vautravers. "La CPI offre davantage d’équité, mais les peines seront beaucoup plus légères et ne satisferont certainement pas la majorité de l’opinion publique en Libye", ajoute-t-il en rappelant le risque de "procès fleuve". Cela pourrait faire ""ressortir des choses très désagréables pour le gouvernement américain, les gouvernements occidentaux et peut-être les dirigeants actuels".