Les États-Unis savaient que Saddam Hussein utilisait des armes chimiques à grande échelle contre l’armée iranienne durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), révèle Foreign Policy. La CIA a néanmoins permis à Bagdad de mener à bien ses attaques.
Dans un article publié lundi 26 août sur son site Internet, le magazine américain "Foreign Policy" révèle, documents et entretiens d’anciens membres des services de renseignement à l’appui, que les États-Unis disposaient de preuves claires de l’usage d’armes chimiques par Saddam Hussein au cours de la première guerre du Golfe (1980-1988), et ce dès 1983. Dans ce conflit, Washington soutenait l’Irak contre son adversaire iranien.
Les responsables américains ont longtemps nié avoir donné un quelconque feu vert à l’Irak pour l’utilisation d’armes chimiques, prétextant que le gouvernement irakien n’a jamais annoncé qu’il allait faire usage de ces armes. Mais un colonel de l’U.S. Air Force à la retraite, Rick Francona, qui était attaché militaire à Bagdad durant les frappes de 1988, donne une tout autre version à "Foreign Policy" : "Les Irakiens ne nous ont jamais dit qu’ils avaient l’intention d’utiliser un gaz neurotoxique. Cela n’était pas nécessaire. On le savait déjà."
Les États-Unis savaient que l’Irak utilisait du gaz moutarde et du gaz sarin dans les combats. Mais n’ont pas tapé du poing sur la table pour autant. Les documents de la CIA, qui étaient jusqu’alors perdus dans une pile de dossiers déclassifiés par les Archives nationales à College Park, Maryland, indiquent qu’au printemps 1988 la CIA a appris, grâce à des images satellites, que l’Iran était sur le point d’exploiter une faille dans les lignes de défense irakiennes. Les services de renseignement américains ont alors fourni à l’Irak la localisation exacte des troupes, capacités logistiques et armes de défense anti-aériennes iraniennes.
L’inertie de la communauté internationale
L’utilisation d’armes chimiques est interdite par le Protocole de Genève entré en vigueur en 1928. Ce protocole n’a jamais été ratifié par l’Irak mais les États-Unis l’ont signé en 1975. La Convention sur l’interdiction des armes chimiques, qui bannit la production et l’utilisation de telles armes, n’est entrée en vigueur qu’en 1997, plusieurs années après les faits en question.
À l’époque, l’Iran a alerté la communauté internationale que des attaques aux armes chimiques étaient menées contre ses soldats. Téhéran constituait même un dossier à présenter aux Nations unies. Mais les preuves impliquant l’Irak lui manquaient.
Au printemps 1988 donc, l’administration Reagan a décidé qu’il était préférable de laisser les attaques chimiques irakiennes se poursuivre si elles pouvaient changer le cours de la guerre. Selon les archives que s’est procurées "Foreign Policy", ce fut un succès : les quatre attaques chimiques menées par les Irakiens au début de l’année 1988 ont été décisives dans le conflit.
Pour celui qui occupait alors la Maison Blanche, l’essentiel était de s’assurer d’une victoire irakienne, quel qu’en soit le prix. Et même si les preuves de l’utilisation d’armes chimiques étaient découvertes, la CIA a fait le pari que l’indignation et la condamnation internationale seraient en sourdine. L’agence de renseignement dit également que l’Iran pourrait ne pas découvrir de preuves convaincantes de l’utilisation de ces armes. Elle notait que l’utilisation d’agents chimiques par les Soviétiques en Afghanistan n’avait pas eu beaucoup de répercussions au niveau diplomatique.
"Pendant un quart de siècle, aucune attaque chimique ne s’est approchée de l’ampleur des attaques non-conventionnelles de Saddam. Sauf, peut-être, les attaques survenues la semaine dernière dans les faubourgs de Damas", conclut Foreign Policy.