Une semaine après son retour à Paris, le photojournaliste franco-américain Jonathan Alpeyrie est revenu jeudi sur ses 81 jours de captivité en Syrie. Sa libération a été obtenue après le paiement d'une rançon par un "dignitaire pro-Assad".
En près de trois mois de détention en Syrie, le photojournaliste franco-américain Jonathan Alpeyrie est passé entre les mains d’hommes armés mafieux, de rebelles islamistes, d’agents du régime syrien avant d’être finalement exfiltré à Beyrouth, au Liban. Le récit de cette captivité hors-norme a été révélé dans un entretien publié, jeudi 1er août par l’hebdomadaire Paris Match et le Journal de la Photographie, une semaine après le retour en toute discrétion du photographe en France.
Isolé pendant la plus grande partie de sa détention, la seule ouverture sur le monde extérieur de Jonathan Alpeyrie étaient les chaines satellitaires diffusées depuis le Liban voisin. Le photographe franco-américain confie ainsi avoir appris la capture de nos collègues Didier François et Edouard Elias en regardant France 24.
La profession s’est largement mobilisée pour les deux journalistes enlevés dans le nord de la Syrie le 6 juin dernier. Interrogé à ce sujet sur Europe 1, Jonathan Alpeyrie affirme que les autorités et sa famille ont préféré garder son enlèvement secret afin de faciliter sa libération: "Dans mon cas le secret total a beaucoup aidé, je pense que mettre trop en valeur une personne va faire augmenter les prix ou les ravisseurs vont pas forcement être au courant".
En évoquant la captivité de Didier François et Edouard Elias, le photojournaliste ajoute: "J’espère qu’ils sont tombés aux mains de la rébellion plutôt que du gouvernement syrien (…) J’ai l’impression que quand il y a un blackout total, c’est probablement le gouvernement qui détient ces journalistes".
Le reporter de guerre de 34 ans raconte avoir été kidnappé le 29 avril dernier sur la route de Rankos, une localité à proximité de Damas, après avoir été "trahi" et "vendu" par son traducteur. Des hommes cagoulés interceptent son véhicule, le dépouillent, et le forcent à se mettre à genoux avant de procéder à un simulacre d’exécution. "Ils m’ont bâillonné et menotté. Ils essayent de vous effrayer, de vous briser psychologiquement, afin que vous n’essayez pas de vous enfuir", rapporte Jonathan Alpeyrie.
Angoisse permanente
Les hommes qui le détiennent, "tous barbus", le ramènent dans une maison où il est attaché à un lit pendant trois semaines. Le photographe découvre alors que ses geôliers sont membres d’un groupe rebelle islamiste indépendant, la Katiba al-Islam, dont il finit par rencontrer le chef, "Assad".
Entre les bombardements réguliers de l’armée syrienne et les menaces d’exécution des islamistes – qui l’accusent d’être un "espion américain" – le photographe vit dans une angoisse permanente. Sa situation s’améliore quelque peu après trois semaines de captivité, lorsque ses geôliers le transfèrent dans une maison isolée, à proximité de la frontière libanaise. Mieux traîté, Jonathan Alpeyrie n’est plus enchaîné en permanence. Il peut se dégourdir les jambes dans le jardin de la villa et regarder la télévision entre deux coupures d’électricité. C’est à ce moment que le photographe parvient à échanger un peu avec certains de ses geôliers.
"Je me suis dit que la meilleure chose à faire était de m’intégrer à leur vie", a déclaré Jonathan Alpeyrie sur les ondes d’Europe 1 dans un entretien diffusé jeudi 1er août. "Par exemple, quand les jeunes soldats cuisinaient, j’allais les aider cuisiner. J’ai appris l’arabe et ça m’a beaucoup aidé psychologiquement, parce que ça me donnait des choses à faire (…) Les soldats les plus jeunes étaient plus sympas avec moi".
Rançon de 450 000 dollars
Une lueur d’espoir apparaît le 18 juillet quand il est transféré chez un cheikh à Yabroud, au nord de Damas, pour "être libéré". Le coup est d’autant plus dur pour Jonathan Alpeyrie quand les rebelles islamistes cèdent la place à deux hommes en noir habillés "comme les fameux shabihas" [miliciens du régime syrien, Ndlr] . "L'un d'eux parlait parfaitement l'anglais. Il m'a dit : ‘Jonathan, tu es libre maintenant. Nous sommes du gouvernement et tu vas à Damas'" (…) Là, je me suis effondré. Je me voyais finir dans une prison du gouvernement", explique le photographe.
Le récit de sa libération finale reste plus mystérieux. Le photographe est transféré dans la capitale syrienne où il rencontre un homme d’affaire pro-Assad qui aurait payé sa rançon aux rebelles. Alors que ce genre d’informations est généralement tenu secret, Jonathan Alpeyrie avance que ce responsable "qui figure sur la liste noire des dignitaires syriens" aurait payé 450 000 dollars pour sa libération.
"Un soir, à Damas, il m'a dit que trop de gens étaient au courant de ma présence. Le lendemain, il m'a fait monter dans le coffre de sa voiture et j'ai passé la frontière" avec le Liban, ajoute le photojournaliste sans que l’on puisse comprendre les motivations qui pousseraient un responsable du régime syrien à agir de la sorte.
Un flou similaire entoure les derniers instants de captivité du photographe à Beyrouth. Laissé seul dans un appartement, il se débrouille pour appeler l’ambassade française qui dépêche deux gendarmes pour venir le chercher. Après 81 jours de captivité soigneusement gardée secrète, Jonathan Alpeyrie peut enfin savourer sa liberté retrouvée.