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Conforté par la victoire de son parti aux sénatoriales, le Premier ministre japonais a les coudées franches pour mener son plan de réformes économiques baptisé "Abenomics". Mais certains pans de son programme risquent de faire grincer quelques dents.

Dorénavant, il a tous les principaux leviers du pouvoir à sa disposition pour réaliser l’intégralité de sa grande œuvre économique, appelée “Abenomics”. Les conservateurs du Parti libéral démocratique (LDP) du Premier ministre japonais Shinzo Abe ont remporté, dimanche 21 juillet, les élections sénatoriales. Le chef du gouvernement bénéfice donc l’appui des deux Chambres pour poursuivre son plan qui consiste à redessiner le paysage économique nippon de fond en comble.

“Nous avons promis aux électeurs d’intensifier notre politique économique, ils nous ont entendus et soutenus”, s’est félicité Shinzo Abe, dimanche, peu après l’annonce de la victoire électorale de son parti. Cette politique, dont les contours avaient pour la première fois été dévoilés en novembre 2012, est reconnue comme étant l’une des plus ambitieuses mise en œuvre par le Japon depuis près de 20 ans. Surtout, elle va à contre-courant des préceptes d’austérité et de contrôle budgétaire qu’une partie des gouvernements des pays occidentaux a mis en place depuis bientôt trois ans.

Les "deux premières flèches" des “Abenomics”

Les "Abenomics" reposent en effet sur la relance, censée remettre le pays sur la voie de la croissance. Car, depuis 15 ans, le Japon, sous l'effet d'une déflation monétaire, peine à sortir de la stagnation économique.

Pour y remédier, Shinzo Abe a déjà décoché deux de "trois flèches" de son programme. La première consiste à transformer la Banque centrale du Japon (BoJ) en bras armé de sa politique monétaire. Début 2013, l'institution a revu son objectif d'inflation à la hausse (de 1 % à 20% par an). Elle a également entrepris d’injecter des milliards de yens dans l’économie japonaise dans l’espoir de faire baisser la monnaie nationale (pour doper les exportations) et de faciliter l’accès au crédit (pour relancer la consommation).

L’autre volet des “Abenomics”, déjà en cours d’exécution, consiste en un vaste plan d’investissements publics. En janvier, le gouvernement s’est engagé à dépenser 86 milliards d’euros pour rénover les infrastructures japonaises et doper la recherche dans les énergies renouvelables et les nouvelles technologies.

Un vaste chantier qui a commencé à porter ses fruits. Au cours des trois premiers mois de 2013, l’économie japonaise a connu un regain d’activité qui laisse augurer d’une croissance de 3,5 % pour l’ensemble de l’année, un taux bien supérieur aux prévisions des économistes qui tablaient sur une croissance de 2,7 %. Le yen a baissé d’environ 20 % par rapport au dollar pour le plus grand plaisir de géants des technologies comme Nintendo ou Sony qui ont vu leurs exportations repartir à la hausse.

Libéralisation à tout va

Pour certains, le véritable test reste toutefois à venir. “Les 'Abenomics' ne fonctionneront que si le gouvernement met en place le troisième pilier de sa stratégie, celle de la réforme du secteur privé et du marché du travail”, prévient la banque BNP-Paribas dans une note de conjoncture consacrée à l’économie japonaise en date de juin 2013. La plupart des économistes craignent que la politique monétaire et le plan de relance n’auront qu’un impact positif à court terme. Aussi appellent-ils le gouvernement à engager des “reformes de structure” pour “augmenter le potentiel de croissance”, comme l’écrit la note de synthèse de la BNP.

Shinzo Abe avait d’ailleurs prévu dans son plan “une troisième flèche” qui vise justement à s’attaquer aux lourdeurs du secteur privé japonais. Mais jusqu’à présent, le gouvernement arguait qu'il ne disposait pas d’une majorité suffisante au Sénat pour engager des réformes politiquement plus délicates. Les élections de dimanche ont changé la donne. “Shinzo Abe doit maintenant s’attaquer à la partie la plus périlleuse des ‘Abenomics’”, écrit le site du quotidien britannique "Financial Times".

La “troisième flèche” risque, en effet, de frapper les Japonais au portefeuille. L’idée est de libéraliser davantage certains secteurs très réglementés comme la santé, l’agriculture et l’énergie. Des entreprises qui, jusqu'alors, survivaient uniquement grâce au soutien financier de l’État risquent alors de faire faillite, tandis que les très protégés agriculteurs japonais - des électeurs traditionnels du parti conservateur - vont se retrouver en concurrence avec des pays émergents qui vendent leurs produits beaucoup moins chers.

Plus largement, si le gouvernement maintient sa feuille de route économique, il devrait assouplir les procédures de licenciement. La loi est actuellement très protectrice pour le salarié, à tel point qu’on parle “d’emplois à vie” dans le secteur privé japonais. Une réforme du marché du travail risque donc d’entraîner une vague de plans sociaux dans un pays où le taux de chômage n’est que de 4 %. Pas sûr que la population accueille avec enthousiasme cette “troisième flèche”.