, envoyé spécial à Montpellier – Dans son dernier ouvrage "Le Tour d’antan", l'ancien journaliste et homme de télévision Jacques Chancel retrace au gré de photos et de cartes postales la période 1903-1930 de la Grande Boucle. Un regard avisé sur la course et son évolution.
"J’ai fait cet album pour retrouver l’histoire des pionniers, déclare Jacques Chancel. À l’époque, le Tour de France, c’était une nouvelle civilisation !"
Jacques Chancel et le Tour de France, c’est une histoire d’amour qui a commencé tôt. À 4 ans, l’ancien journaliste et écrivain a vu le Tour passer sur le pas de sa maison des Pyrénées, au pied de l'Aubisque. 82 ans plus tard, le présentateur des émissions cultes Radioscopie et Le Grand Échiquier se souvient des héros d'une épreuve unique qui fête cette année sa centième édition.
Jacques Chancel a choisi entre un millier de photos et de cartes postales pour retracer la période couvrant 1903 à 1930, dans un album intitulé "Le Tour de France d'antan" (HC Editions).
Pour avoir suivi 35 Tours de France et amorcé le changement de cap des années 1980 quand l'épreuve est devenue sur Antenne 2 (dont il était le directeur) le "Tour de la France", Jacques Chancel apparaît comme le témoin privilégié de l’évolution de la Grande Boucle. Et même si la course "a changé", cet homme de télévision n'en apprécie pas moins les Tours contemporains. Entretien.
FRANCE 24 : Que pensez de ce début de Tour ?
Jacques Chancel : J’ai eu le bonheur de voir les images magnifiques de la Corse. C’était splendide. C’était l’une de mes idées de faire évoluer le Tour de France en "Tour de la France"…
F24 : En 100 éditions, la Grande Boucle a bien changé comme le montre votre ouvrage…
J. C. : Tout a changé, mais tout est toujours pareil ! Le Tour de France n'est pas surhumain, mais inhumain. C’est effroyable. On ne se rend pas compte de la douleur, de la souffrance des coureurs. Les spectateurs sur la route sont formidables, mais ceux qui crient des "saloperies" aux coureurs sont des "dégénérés" (sic).
F24 : Quelles sont vos souvenirs les plus marquants du Tour ?
J. C. : La chute de Luis Ocana dans la descente du col de Menté en 1971. J’étais près de lui quand il est tombé. Il y a aussi le contrôle anti-dopage positif de Pedro Delgado alors qu’il était leader à cinq jours de l’arrivée à Paris en 1988. Je me souviens aussi de l’arrivée main dans la main de Bernard Hinault et de Greg LeMond à l’Alpe-d’Huez en 1986. Ce n’était pas normal, une course cela se gagne. Mais vous savez, il y a mille souvenirs. Chaque Tour de France a véritablement ses épisodes.
F24 : On s’aperçoit aujourd'hui qu’il nous manque des héros comme à l’époque….
J. C. : Mais il n’y en a plus ! Les coureurs ont perdu un peu de leur aura avec notamment la concurrence des autres sports. Avant, on ne pouvait par exemple pas sortir du peloton sans l’autorisation de Bernard Hinault. C’était le patron du peloton. Il n’y a plus tout ça. Mais ce n’est pas mauvais pour la course, cela donne un plus.
F24 : Cette évolution est due à quoi ? L’argent ?
J. C. : À l’époque, les coureurs étaient des cobayes, des "esclaves." Ce n’est pas pour rien qu’Albert Londres de retour de Cayenne en 1923 avait employé la fameuse expression : les "forçats de la route". Les cyclistes avaient interdiction d’être aidés. Il y avait des heures et des heures entre les premiers au classement et les derniers. Il n’y avait pas d’argent à l’époque. Tout a changé…
F24 : Les affaires de dopage ont-elles plombé le Tour ?
J. C. : Non, pas du tout ! Le dopage est une manière de parler du Tour. Ce n’est pas pour rien que les affaires sortent souvent huit jours avant le départ. En 1998 [l'année où l'affaire Festina a éclaté], plus on parlait du dopage, plus il y avait du monde autour de la route. Lorsqu'il y a un trop-plein d'affaires, il y a encore plus de monde l'année d'après. Le Tour est une fête, qui dure trois semaines et qui est gratuite. Il y a de plus en plus de ferveur.
F24 : Le journaliste Pierre Ballester parle de "crédibilité sportive nulle" pour le Tour, vous êtes d’accord ?
J. C. : Il n’y a que ceux qui ne connaissent pas le sport qui peuvent dire cela. Le Tour de France est tellement dur et tellement difficile. Vous savez, si vous prenez n’importe quelle personne et qu’il se dope à mort, il ne sera pas premier pour autant.
F24 : C’est une vitrine inestimable pour le pays ?
J. C. : La course est diffusée dans 190 pays. Je suis allé dans beaucoup d'endroits dans le monde, notamment à Tokyo et à New York, où des gens qui ne sont jamais venus en France m'ont dit "Que la France est belle !" Ils la voyaient à l'occasion du Tour. Pour moi, c’est la plus belle des ambassades.
Même en France, le Tour est l’une des grandes aventures de l'année. Dans des régions où il ne se passe pas grand-chose, qui n’ont pas de gros événements, le Tour est attendu tous les ans. C’est une fête populaire.