
À la suite de l'affaire Cahuzac, François Hollande s’est lancé mercredi dans "une lutte implacable contre les dérives de l'argent" en annonçant une série de mesures censées moraliser la vie politique. La magistrature se montre sceptique.
Une semaine après les aveux fracassants de l’ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac sur ses comptes dissimulés à l'étranger, François Hollande a souhaité frapper fort à grands coups de mesures visant à moraliser la vie politique.
Le président de la République a ainsi annoncé mercredi 10 avril "la création d’un parquet financier". Il s'agit d'un procureur ayant une compétence nationale pour les affaires de corruption" et "de grande fraude fiscale". Il pourra ainsi coordonner les enquêtes pour permettre une "concentration des moyens" et "une efficacité des procédures". Un nouveau dispositif qui ne l’est pas au regard des syndicats de la magistrature.
"Aucune avancée"
"Je laisse au président le crédit de vouloir changer les choses, mais si l’on juge ses mesures, on peut douter de sa volonté en la matière", déplore Sophie Combes, secrétaire nationale du bureau du Syndicat de la magistrature.
Dans un entretien accordé à FRANCE 24, la magistrate rappelle que "François Hollande n’apporte aucune avancée en proposant un parquet financier" puisque la France est
d’ores et déjà dotée d’un appareil judiciaire compétent dans le domaine de la lutte contre la délinquance financière, avec notamment l’existence des Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS). Créées par la loi du 9 mars 2004, les JIRS regroupent des magistrats du parquet et de l’instruction qui possèdent une expérience en matière de lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière dans des affaires présentant une grande complexité. Elles disposent, en outre, de moyens techniques comme les infiltrations, les sonorisations ou des équipes communes d'enquête entre plusieurs pays.
La centralisation des enquêtes remises entre les mains d’un procureur, nommé par le Garde des Sceaux, ne garantit pas l’indépendance du parquet vis-à-vis du pouvoir exécutif où se mêlent, selon le SM, intérêts politiques et économiques. "L’affaire Cahuzac en est la parfaite illustration", ironise la juge d’instruction.
Le Syndicat de la magistrature préconise donc une réforme du statut des magistrats du parquet pour que leur carrière ne dépende plus de l’exécutif et leur permettre ainsi d’exercer pleinement leur mission.
Un système affaibli depuis une dizaine d’années
"Si l’on veut réellement lutter contre les fraudes fiscales, il faut mettre davantage de moyens humains et financiers dans la justice", lance Sophie Combes. "Depuis une dizaine d’années, on a vu notre système judiciaire s’affaiblir. À titre d’exemple, on a assisté à Nanterre à la fermeture d’un cabinet de juges d’instruction, faute de moyens suffisants", s’indigne la syndicaliste. Pour travailler efficacement, "il nous faudrait davantage d’enquêteurs, d’assistants spécialisés comme des agents du Fisc et ou des comptables capables d’aider les magistrats dans leur tâche, comme le prévoit déjà la loi, et plus de moyens financiers pour pouvoir envoyer des enquêteurs à l’étranger", résume t-elle.
Reste le développement des structures existantes à plus large échelle comme l’Eurojust, selon le SM. Cet organisme, créé en 2002, a pour vocation de renforcer la coordination et la coopération entre les 27 autorités nationales présentes au sein de l’Europe, dans la lutte contre la criminalité transfrontalière grave.
L'échec de l'appel de Genève
"La situation dans laquelle nous nous trouvons traduit l’échec de l’appel de Genève lancé en 1996 par des grands noms de la magistrature, comme Éva Joly ou Renaud Van Ruymbeke puisque depuis rien a changé", regrette la syndicaliste.
Certains juges, à contre-courant du discours des syndicats, se veulent moins pessimistes. Interrogé ce matin sur les ondes de France Inter au micro de Pascale Clark, le juge Éric de Montgolfier, voit de "l’espérance" dans les mesures annoncées par le chef de l’État. "Je ne comprends pas qu’on dise du côté des syndicats de magistrats qu’on a tout ce qu’il faut. Ce n’est pas vrai. Et sans la volonté politique, le dispositif judiciaire ne vaut rien."