logo

Les plaintes pour insulte au président se multiplient dans l'Égypte de Morsi

Reporters sans frontières s'inquiète de "l'explosion" en Égypte du nombre de plaintes pour offense au président. Ce dimanche, le populaire humoriste Bassem Youssef a été convoqué par la justice pour "avoir raillé" Mohamed Morsi.

De Hosni Moubarak et son entourage aux islamistes arrivés au pouvoir en juin, en passant par l'armée qui a géré la période de transition entre-temps, Bassem Youssef n’aura épargné aucun dirigeant égyptien. Présentateur ultra-populaire d’Al-Bernameg, une émission satirique hebdomadaire inspirée du célèbre Daily Show américain de Jon Stewart, il est aujourd’hui inquiété par la justice de son pays.

Il est précisément accusé d'offense à l'islam pour s'être "moqué du rituel de la prière" et d'insulte envers le président Mohamed Morsi pour avoir "raillé son image à l'étranger", ont indiqué des sources judiciaires, précisant que plusieurs plaintes avaient été déposées contre l'humoriste, qui s’est présenté devant le parquet dimanche 31 mars, avant d'être libéré sous caution. "Comment pourrait-on insulter le président ? Il est le premier à avoir été élu démocratiquement", s'est défendu l’intéressé dans un entretien téléphonique accordé samedi soir à la télévision égyptienne.

Conformément à la loi égyptienne, les plaintes sont déposées auprès du procureur général qui décide ensuite s'il existe des preuves suffisantes pour porter l'affaire devant la justice. Et les suspects peuvent être détenus lors de cette période d'enquête.

Selon plusieurs témoignages recueillis sur place, une manifestation de soutien a éclaté aux abords du palais de justice (voir tweet ci-contre). "Nous sommes tous des Bassem Youssef !", scandaient notamment les supporters de l’humoriste.

Un pur produit de la révolution

'we are all bassem youssef' -outside high court #Egypt twitter.com/jgulhane/statu…

— Joel Gulhane (@jgulhane) 31 mars 2013

Chirurgien de formation, Bassem Youssef devait se lancer dans une carrière aux États-Unis mais le soulèvement populaire de février 2011 a changé son destin. Scandalisé par la couverture de l'événement par les médias d'État, il décide de donner sa propre version des faits, celle qu'il voit sur le terrain. Ses premières vidéos apparaissent sur Internet avec, comme studio, son appartement. Le succès est fulgurant : en sept épisodes, il engrange plus de cinq millions de visiteurs  sur la Toile.

Il est ensuite engagé par la chaîne de télévision satellitaire privée ONTV, avant de collaborer avec une autre, CBC, où il a créé le premier programme égyptien à être filmé en direct et avec public.

"Je demande à ce que les élections soient prolongées sur les dix prochaines années, comme ça le peuple ne sera plus dans le besoin ! Que ce soit au niveau nourriture, boisson ou encore engins électriques. Et du viagra !", lance l’humoriste dans un sketch très remarqué, son audace et son humour dépassant souvent les barrières traditionnelles du paysage audiovisuel égyptien.

"Nous nous moquons de ceux qui utilisent l'argent et la nourriture pour acheter les votes des gens. On se moque des tactiques électorales en général", explique ce pur produit de la télévision qui peine parfois à briser les tabous.

Quatre fois plus de plaintes que sous Moubarak

Devenu célèbre, Bassem et son équipe commencent, visiblement, à sérieusement agacer en haut lieu. Et ils ne sont pas les seuls.

"Depuis l'élection de Mohamed Morsi, le nombre de plaintes à l'encontre de journalistes a littéralement explosé. Les enquêtes et procès visent clairement à restreindre la liberté de l'information", note l'organisation Reporters sans frontières.

Selon l'avocat Gamal Eid, il y a eu quatre fois plus de plaintes pour "insulte au président" lors des 200 premiers jours de Mohamed Morsi au pouvoir que pendant les 30 ans de règne de Hosni Moubarak.

La semaine dernière, un mandat d'arrêt a été délivré contre le blogueur pro-démocratie Alaa Abdel Fattah pour incitation à la violence. En parallèle, des procureurs ont indiqué leur intention d’enquêter sur trois présentateurs d'émissions politiques - Lamis al-Hadidi, Amr Adib et Youssef al-Husseini - pour incitation au chaos.

Alors que le respect de la liberté d'expression était une revendication phare du soulèvement populaire de 2011, Mohamed Morsi s'était engagé, lors de sa campagne électorale, à garantir la liberté des médias. Mais l'opposition dénonce une dérive autoritaire du président islamiste, également accusé d'être incapable de faire face à la grave crise économique et sociale.

L'émission de Bassem Youssef du 22 mars 2013 (en arabe)

FRANCE 24 avec dépêches