
Gao est une cité meurtrie. Pendant dix mois, cette ville du nord du Mali a vécu sous le joug des rebelles touareg, puis des djihadistes du Mujao et d’Ansar Dine. Fin janvier, grâce à l’aide de l’armée française, les troupes maliennes ont repris le contrôle de Gao. La vie reprend doucement son cours. Le reportage de nos envoyés spéciaux.
Aujourd’hui, les habitants de Gao sortent d’un long tunnel. Il y a quelques semaines, la peur et l’arbitraire étaient encore leur quotidien. Au nom de la charia, la loi islamique, les djihadistes ont fait régner une justice brutale. L’adultère, la consommation de tabac… Ces vices étaient punis à coups de fouet par les milices islamistes. Les châtiments étaient publics. Ils avaient lieu au cœur de Gao, sur la Place de l’indépendance - rebaptisée ‘’Place de la charia’’. De nombreux habitants ont filmé ces sévices à l’aide de leur téléphone portable, souvenirs morbides d’une époque qu’ils espèrent aujourd’hui révolue.
Les punitions pouvaient prendre un tour extrême. Une dizaine de personnes, accusées de délits tels que le vol, ont vu leurs mains ou leurs pieds amputés en place publique. ‘’Les gens n’étaient pas d’accord, mais ils ne pouvaient pas prendre notre défense. C’était les djihadistes qui commandaient. Personne n’avait droit à la parole’’, témoigne Issa, accusé de vol et amputé de son bras droit en décembre.
Partout dans Gao les stigmates de la guerre sont flagrants. Les djihadistes avaient établi leur base dans les bâtiments publics. Ces derniers ont été la cible des frappes aériennes françaises au moment de la reconquête de la ville. Avant d’abandonner la zone en catastrophe, les combattants en déroute ont achevé de saccager les archives municipales, volé ou détruit les ordinateurs… Aujourd’hui l’administration est à terre. La mairie, le Palais de justice, le bâtiment des douanes sont en ruine. Quand au grand marché central, dont dépendait toute l’économie locale, il a été devasté par un incendie lors d’une incursion djihadiste en février.
La perspective du départ des troupes françaises inquiète
Aujourd’hui, des 4x4 chargés de soldats maliens et des blindés français de l’opération Serval patrouillent dans les rues désolées de Gao. À l’aéroport, l’armée française a installé une importante base militaire. La zone urbaine semble relativement sécurisée. Mais passées les limites de la ville, la menace djihadiste persiste. Alors, pour mener des opérations de ratissage, les soldats français ne sortent qu’en convoi de véhicules blindés. Toutes les voies d’accès à Gao sont contrôlées par les militaires maliens. Leur hantise : les attaques kamikazes.
Peu à peu, la vie reprend son cours à Gao, et les familles déplacées commencent à revenir. Mais timidement : l’an dernier, environ 75% des 80 000 habitants ont fui l’occupation djihadiste. Aujourd’hui, quelque 7 000 habitants seulement sont rentrés, selon une ONG locale. Le nord du Mali est encore loin d’être sécurisé. Et la situation sociale, économique et humanitaire est désastreuse.
Partagée entre peur et optimisme, Gao repart de zéro. Signe qu’une page est peut-être tournée, les débits d’alcool, saccagés par les djihadistes, commencent à rouvrir leurs portes. Le football reprend ses droits. Et les femmes, celles qui avaient le plus souffert du moralisme violent imposé par les djihadistes, savourent leur liberté retrouvée.
Mais la perspective du départ des troupes françaises inquiète les habitants. Ils doutent que l’armée malienne - discréditée, mal équipée, accusée d’exactions - soit capable d’assurer la relève. Et de tenir un territoire désertique vaste comme la France.
Un grand reportage de Roméo Langlois, Luke Brown et Khalil Bechir.