Détenu depuis 1999 sur l’île d’Imrali au large d’Istanbul, le chef du Parti des travailleurs du Kurdistan, Abdullah Öcalan, a demandé à ses combattants de se retirer de Turquie. Une métamorphose pour le "parrain du terrorisme". Portrait.
Hier ennemi public numéro un de la Turquie, aujourd’hui acteur important du processus de paix. De son île-prison d'Imrali au large d'Istanbul où il est enfermé depuis quatorze ans, le chef de la rébellion kurde, Abdullah Öcalan, a lancé jeudi 21 mars un appel historique à un cessez-le-feu entre la Turquie et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). "Que les armes se taisent et que la politique l'emporte, a-t-il dit. Le moment est venu pour nos forces de se retirer en dehors des frontières turques [...]. Ce n'est pas la fin, mais le début d'une nouvelle ère." Et d’affirmer que le temps était venu de "faire prévaloir la politique".
Jamais Abdullah Öcalan ni un Premier ministre turc, en l'occurrence Recep Tayyip Erdogan, n'avaient manifesté publiquement une telle volonté de mettre fin à un conflit qui a fait plus de 40 000 morts depuis son déclenchement en 1984. Recep Tayyip Erdogan a en effet souligné l'importance de l'appel d'Öcalan, qu’il a qualifié de "développement positif". Le chef du gouvernement s’est engagé à ce que la Turquie cesse ses opérations militaires contre les Kurdes si le PKK met un terme aux siennes. "S'il n'y a plus d'actions militaires, nos troupes n'entreprendront plus d'opérations militaires", s'est-il ainsi engagé.
Ce n’est pas la première fois que le leader historique du PKK souhaite instaurer un processus de paix pour mettre fin au conflit armé. Mais Ankara ne l'avait jamais cru auparavant.
"Peu d’amour familial ni discipline"
Car, durant près de vingt ans, Abdullah Öcalan est connu en Turquie comme "le tueur d’enfants" ou "le parrain du terrorisme". Né à Omerli, village de la province de Sanliurfa dans le sud-est de la Turquie, il a reçu durant son enfance "peu d'amour familial ni discipline", a-t-il expliqué lors de son procès retransmis à la télévision, qui a tenu en haleine la Turquie en 1999. "Ma passion était de parcourir les montagnes, a-t-il raconté. Les villageois me connaissaient à la fois comme le chasseur de serpents et celui qui ne fait pas de mal à une mouche."
En 1978, il crée son parti d’obédience marxiste après avoir milité à l'extrême gauche lors de ses études de sciences politiques à Ankara. La prise du pouvoir par les militaires en 1980 l’incite à se lancer dans la lutte armée en 1984.
Exilé en Syrie, il en est expulsé en 1998 en raison des pressions exercées par Ankara. Il s’est ensuite lancé dans une course à l'asile politique en Europe, qui le mènera en Grèce, en Russie et en Italie avant sa capture au Kenya le 15 février 1999. Malgré sa longue période d'isolement, Abdullah Öcalan a maintenu une certaine emprise sur ses combattants dans le nord de l'Irak, le sud-est de la Turquie et sur les militants du PKK en Europe.
Une figure-clé pour l’avenir de la Turquie
Au cours de ses années d'introspection dans sa cellule, sa pensée évolue. Il tend à croire que la cause kurde sera mieux servie désormais par des réformes démocratiques que par une insurrection par les armes. "Si nous réussissons, ce sera une république totalement nouvelle, une démocratie radicale", confie-t-il en février à des responsables kurdes venus lui rendre visite à Imrali.
Des propos qui reflètent son envie d'apparaître comme une figure-clé pour l'avenir de la Turquie. Abdullah Öcalan a ouvert la voie à des contacts avec Ankara à l'automne dernier en intervenant pour faire cesser un vaste mouvement de grève de la faim de détenus kurdes. À 63 ans, il s'est vu offrir le rôle qu'il désirait ardemment depuis longtemps.
"Il ne se voit plus comme le chef d'un groupe engagé dans la lutte armée, note Eyup Can, rédacteur en chef du journal libéral "Radikal", qui suit étroitement les discussions. Il lorgne en direction des 25 millions de Kurdes disséminés entre la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie."