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Dix ans après la guerre, l'Irak tente de trouver sa place à l'échelle internationale et régionale - notamment face à l’Iran, autre grande puissance chiite de la région. Une tâche difficile au vu des tensions communautaires qui agitent le pays.
Dix ans après l’intervention américaine en Irak, le pays tente peu à peu de se reconstruire. Mais les tensions confessionnelles entre les chiites, communauté au pouvoir, et les sunnites, qui se sentent mis à l’écart depuis la chute de régime de Saddam Hussein en 2003, mettent à mal la cohésion précaire du pays qui peine à trouver sa place dans une région où l’équilibre est menacé. Quelle place l’Irak peut-il prétendre occuper au Moyen-Orient ? Eléments de réponse avec Myriam Benraad, chercheuse associée au Ceri-Sciences Po et à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabo-musulman (Iremam).
Dix ans après le début de l’intervention américaine qui a conduit à la chute de Saddam Hussein, l’Irak a-t-elle recouvré sa pleine souveraineté?
Myriam Benraad : Deux dimensions importantes se dégagent de la situation de l’Irak aujourd’hui. D’un côté, on voit nettement que Bagdad veut de nouveau s’affirmer comme une grande puissance. D'e l'autre côté, le pays demeure une caisse de résonance des équilibres régionaux. La Turquie et l’Arabie saoudite soutiennent lainsi es sunnites qui se sentent lésés depuis la chute de Sadam Hussein. Ankara a notamment offert refuge à l’ancien vice-président irakien et sunnite Tarek Hachémi condamné à mort en septembre 2012.
Mais, en même temps, l’Irak veut se positionner comme une puissance régionale. On peut le voir sur le dossier syrien lorsqu’en 2011 Bagdad s’est démarqué de la majorité des membres de la Ligue arabe en refusant de voter des sanctions contre le régime de Bachar al-Assad par exemple. Son attitude au sein de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) est également significative : de plus en plus elle tente de contrebalancer l’influence de l’Arabie saoudite dans l’organisation.
A l’échelle internationale, le pouvoir irakien tente également de s’affirmer et entend bien ne pas se laisser dicter sa conduite par les États-Unis. C’est pour cette raison que Bagdad a opéré un rapprochement clair via notamment d’importants contrats d’armements avec la Russie et la Chine, deux puissances qu’on peut considérer comme rivales des États-Unis.
Le 19 mars, Washington reprochait à Bagdad de fermer les yeux sur les vols iraniens à destination de Damas. Comment se situe l’Irak par rapport à l’Iran ? Peut-on parler d’un pays satellite de Téhéran ?
M. B. : La relation que l’Irak entretient avec l’Iran est complexe. Bien entendu il y a une grande proximité entre les deux pouvoirs chiites. Il existe entre les deux pays des liens économiques et humains très forts qui sont historiques, le parti chiite Dawa dont est issu le Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, est très lié à Téhéran. D’ailleurs, nombre de chiites irakiens, opposants du régime baasiste de Saddam Hussein, avaient, à cette époque-là, trouvés refuge en Iran. Dans le sud, beaucoup de familles chiites ont des liens avec des familles iraniennes. Et de son côté, sachant cela, l’Iran n’hésite pas à jouer de son influence auprès des chiites irakiens, majoritaires et au pouvoir.
Reste que les chiites d’Irak sont bien des Arabes et non des Perses et on observe chez eux une certaine survivance du nationalisme irakien. Ainsi nombre d’entre eux sont contre la soumission à l’Iran et revendiquent une identité propre. L’imam chiite Moqtada al-Sadr en est un parfait exemple. Engagé dans un bras de fer avec Nouri al-Maliki, qui remonte à 2008, il n’a pas hésité à apporter son soutien à la révolte que la minorité sunnite a mené en décembre dernier contre le pouvoir chiite. Se revendiquant lui-même du nationalisme irakien, il accuse Maliki de mener une politique sectaire.
Depuis le début de la crise syrienne, Bagdad prône la neutralité, mais annonce avoir accepté de soigner des soldats du régime dans ses hôpitaux. Comment comprendre l’attitude de l’Irak vis-à-vis de Damas ?
M. B. : Sur la crise syrienne, il est évident que l’Irak calque sa position sur celle de l’Iran, grand allié de Damas dans la région. Mais Bagdad cherche aussi son propre intérêt en jouant la prudence. Le gouvernement craint deux choses. D’une part, il a peur que le conflit ne déborde à l’intérieur des frontières irakiennes, ou du moins qu’il ne déstabilise un équilibre communautaire déjà très précaire entre sunnites et chiites. D’autre part, le gouvernement craint que le soulèvement en Syrie ne se solde à terme par l’avènement d’un régime islamiste. Or Bagdad ne souhaite pas cela à ses frontières.