logo

Séparatistes au Yémen : qui sont-ils, que veulent-ils et pourquoi leur progression change la donne
Au Yémen, un nouvel acteur s’impose. En quelques semaines, les séparatistes du Conseil de transition du Sud ont conquis de vastes territoires stratégiques du pays. Soutenus par Abu Dhabi, accusés de menace par Riyad, ils fragilisent un peu plus un pays déjà morcelé par la guerre. Explications de Franck Mermier, anthropologue et directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste du Yémen.
Photo d'archives – Des membres des forces séparatistes du sud du Yémen aux côtés de leurs partisans lors d'un rassemblement dans la ville portuaire d'Aden, dans le sud du Yémen, le 15 août 2019. © Fawaz Salma, Reuters

Un nouveau front au Yémen. Alors que le pays est ravagé par une décennie de guerre civile opposant les rebelles houthis au gouvernement reconnu par la communauté internationale, un autre acteur armé a brusquement rebattu les cartes. En quelques semaines, des forces séparatistes ont lancé en décembre une offensive éclair dans le sud du pays, s'emparant de territoires stratégiques, de bases militaires et de champs pétrolifères. 

Accusés par l'Arabie saoudite de menacer la sécurité régionale, soutenus par les Émirats arabes unis, ces séparatistes réunis sous la bannière du Conseil de transition du Sud refusent de se retirer. Qui sont-ils et que cherchent-ils à imposer ? France 24 fait le point. 

  • Qui sont les séparatistes du Sud ? 

Le Conseil de transition du Sud (STC) est créé en 2017 autour d'un objectif clair : défendre la cause séparatiste dans le sud du Yémen. À sa tête, Aïdarous al-Zoubaïdi, vice-président du Conseil présidentiel, l'organe exécutif du gouvernement reconnu du Yémen, et ancien gouverneur d'Aden, la grande ville du Sud. L'offensive a mis les forces du STC en confrontation directe avec le gouvernement internationalement reconnu et soutenu par l'Arabie saoudite.

Séparatistes au Yémen : qui sont-ils, que veulent-ils et pourquoi leur progression change la donne
Le chef du Conseil de transition du Sud du Yémen, Aïdarous al-Zoubaïdi, lors d'une interview, le 22 septembre 2023, à New York. © Ted Shaffrey, AP

Les racines de ce mouvement sont bien plus anciennes, explique Franck Mermier, anthropologue et directeur de recherche émérite au CNRS, spécialiste du Yémen : "Le mouvement sudiste s'est développé à partir de la guerre civile yéménite de 1994. Les Sudistes, vaincus de cette guerre, ont été marginalisés, notamment dans l'armée et la fonction publique, avec des limogeages massifs sous le régime de l'ex-président Ali Abdallah Saleh." 

D'abord portées par des revendications sociales et économiques, ces frustrations se transforment progressivement en revendications politiques, puis indépendantistes à partir de 2007. La guerre déclenchée en 2015 entre les Houthis – soutenus par l'Iran – et les forces appuyées par une coalition militaire arabe – incluant l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – offre alors une opportunité décisive au mouvement : celle de se structurer militairement et de gagner en influence. 

Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Une extension de votre navigateur semble bloquer le chargement du lecteur vidéo. Pour pouvoir regarder ce contenu, vous devez la désactiver ou la désinstaller.

Réessayer
Séparatistes au Yémen : qui sont-ils, que veulent-ils et pourquoi leur progression change la donne
© France 24
06:28

Depuis sa création, le STC fait partie du camp soutenant le gouvernement reconnu par la communauté internationale, siégeant au Conseil présidentiel, une instance censée unifier les forces anti-Houthis. Mais cette alliance est fragile. Dès 2018, les séparatistes affrontent les forces gouvernementales à Aden, la "capitale provisoire" du pays. En 2019, de nouveaux affrontements font en quatre jours une quarantaine de morts, selon l'ONU

  • Quel est leur projet ? 

L'objectif affiché des séparatistes est la restauration d'un État indépendant dans le sud du Yémen, sur le territoire de l'ancienne République démocratique et populaire du Yémen, qui a existé entre 1967 et 1990 – seul État marxiste du monde arabe avant son unification avec le Nord. "Depuis 2017, les séparatistes ne parlent plus seulement d'un Yémen du Sud, mais d'un 'État de l'Arabie du Sud'", précise Franck Mermier. "Ils cherchent à se démarquer de la culture et de l'entité yéménites en réclamant leur indépendance." 

Ces derniers jours, dans les rues d'Aden, des centaines de manifestants brandissaient ainsi les drapeaux de l'ex-Yémen du Sud, parfois aux côtés de ceux des Émirats arabes unis. "Vous devez respecter la volonté de ce grand peuple !", lance une manifestante au micro de la "chaîne indépendante d'Aden", appelant la communauté internationale et la coalition arabe à "déclarer le Sud comme État indépendant". 

Séparatistes au Yémen : qui sont-ils, que veulent-ils et pourquoi leur progression change la donne
Des partisans du Conseil de transition du Sud (CTS), brandissent des drapeaux des Émirats arabes unis et de l'ex-Yémen du Sud lors d'un rassemblement à Aden, le 30 décembre 2025. © Fawaz Salman, Reuters

Mais derrière ces images spectaculaires, la réalité est plus nuancée. "Ces manifestations ne signifient pas que le STC bénéficie d'un soutien populaire massif", tempère Franck Mermier. "Il est très implanté autour d'Aden, mais il fait aussi face à une forte opposition, y compris pour sa corruption, sa mauvaise gestion économique, et son incapacité à répondre aux attentes sociales." 

D'autant que leur projet suscite des résistances locales, notamment dans l'Hadramout, région clé du pays riche en ressources pétrolières et qui partage une frontière avec l'Arabie saoudite. “Une grande partie des tribus de cette province refusent d'être intégrées de force à une entité sudiste et réclament plutôt une autonomie régionale, dans un cadre yéménite plus large, tout en conservant leurs liens historiques avec l'Arabie saoudite", explique Franck Mermier. 

  • Comment expliquer leur offensive éclair ? 

Jusque-là cantonnées au littoral, les forces séparatistes ont profité d'un vide sécuritaire ces dernières semaines pour progresser rapidement vers le nord de l'Hadramout, puis dans le gouvernorat voisin de Mahra, à la frontière omanaise. Une avancée quasi sans résistance. 

Pour Franck Mermier, deux lectures se dégagent : "Soit ce sont les Émirats arabes unis qui téléguident les séparatistes dans le cadre de leur rivalité avec l'Arabie saoudite. Soit les séparatistes ont saisi l'occasion, redoutant d'être marginalisés dans d'éventuelles négociations entre Riyad et les Houthis." 

Une chose est sûre : malgré le soutien émirati, le STC n'est pas un simple pion, d'après les experts. "Les dynamiques locales existaient bien avant l'intervention d'Abu Dhabi", insiste le chercheur. 

  • Pourquoi les séparatistes cristallisent-ils les tensions entre Abu Dhabi et Riyad ? 

Le soutien des Émirats arabes unis aux séparatistes du STC depuis sa création en 2017 est central : financement, armement, formation. Abu Dhabi voit dans ce mouvement un partenaire pour stabiliser le Sud, contrer les mouvements islamistes et sécuriser les routes maritimes, tout en limitant l'influence des Houthis. 

De son côté, l'Arabie saoudite tolérait jusqu'à présent le STC, en raison de son poids militaire et de sa présence au sein du Conseil présidentiel anti-Houthis. Mais l'expansion vers l'Hadramout change la donne. Le royaume, qui partage une longue frontière avec cette province, redoute de voir son influence reculer au profit des Émirats. 

Depuis plusieurs générations, les familles originaires d'Hadramout occupent une place clé dans l’économie saoudienne, que ce soit à travers la gestion de restaurants familiaux ou de consortiums de construction valant des milliards de dollars. Selon les experts, perdre le contrôle et l'influence sur cette province au profit d’un groupe soutenu par les Émirats constituerait un sérieux revers pour Riyad.

Le royaume a ainsi dénoncé une "menace" pour sa sécurité nationale et mené mardi des frappes aériennes contre une cargaison d'armes présumée dans un port contrôlé par les séparatistes. "L'Arabie saoudite ne peut pas accepter que son pré carré passe sous influence émiratie", résume Franck Mermier. "L'indépendance du Sud affaiblirait gravement le gouvernement qu'elle soutient et, avec lui, toute sa stratégie au Yémen."