Le chef du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), Abdullah Öcalan, a demandé aux combattants de son mouvement de se retirer de Turquie. Les séparatistes kurdes avaient entamé un processus de paix avec Ankara après 30 ans d'hostilités.
La presse turque à grand tirage ne le nomme plus le "tueur d'enfants" ou le "parrain du terrorisme". Abdullah Öcalan est désormais devenu "un acteur important" du processus de paix.
De son île d'Imrali, où il est enfermé depuis quatorze ans au large d'Istanbul, le chef de la rébellion kurde a lancé jeudi un appel historique à un cessez-le-feu entre la Turquie et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Jamais Öcalan ni un Premier ministre turc, en l'occurrence Recep Tayyip Erdogan, n'avaient manifesté publiquement une telle volonté de mettre fin à un conflit qui a fait plus de 40.000 morts depuis son déclenchement en 1984.
La transformation est remarquable de la part du chef du PKK, capturé en 1999 par les forces spéciales turques à bord d'un avion au Kenya, même s'il avait déjà offert pendant son procès de faire descendre ses combattants des montagnes et d'ouvrir des négociations. Ankara ne l'avait pas cru.
Aujourd'hui encore, les nationalistes turcs rejettent tout accord avec le prisonnier d'Imrali et le PKK, classé par les Etats-Unis et l'Union européenne comme organisation terroriste. A leurs yeux, le risque est un éclatement de l'Etat turc.
Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir depuis 2002, a pris en main la "question kurde" comme jamais aucun gouvernement avant lui, faisant des concessions sur les droits linguistiques et culturels de cette minorité qui représente environ 20% de la population turque.
Mais les combats se sont poursuivis, atteignant l'été dernier de nouveaux pics d'une violence aujourd'hui rejetée par l'homme qui a fondé le PKK en 1978.
"Nous serons tous libres"
Après des années d'isolement et d'introspection, celui dont le nom de guerre est "Apo" s'est vu offrir à 63 ans le rôle qu'il désirait ardemment depuis longtemps.
"Si nous réussissons, ce sera une république totalement nouvelle, une démocratie radicale", a-t-il confié en février à des responsables kurdes venus lui rendre visite à Imrali.
Des propos qui reflètent son envie d'apparaître comme une figure-clé pour l'avenir de la Turquie, en offrant de se rallier à la volonté d'Ergodan de devenir président aux pouvoirs exécutifs renforcés dans le cadre d'une nouvelle Constitution.
"Il n'y aura plus besoin d'assignation à résidence, ou d'amnistie. Nous serons tous libres", a-t-il même affirmé en souriant, évoquant son propre sort ou celui des centaines de combattants du PKK ou des militants kurdes emprisonnés dans les geôles turques.
En intervenant pour faire cesser un vaste mouvement de grève de la faim des détenus kurdes à l'automne dernier, Abdullah Öcalan a ouvert la voie à des contacts avec Ankara qui ont donné naissance à un plan pour mettre fin à l'insurrection.
Mais les récents propos du chef kurde reflètent surtout l'évolution de sa pensée au cours de ces dernières années et sa conviction que les doléances kurdes seront mieux servies désormais par des réformes démocratiques que par une insurrection par les armes.
"Il a évolué au point qu'il ne veut même plus se référer à une 'autonomie démocratique', sans parler d'un Etat kurde indépendant", relève Eyup Can, rédacteur en chef du journal libéral Radikal, qui suit étroitement les discussions.
"Il ne se voit plus comme le chef d'un groupe engagé dans la lutte armée. Il lorgne la direction des 25 millions de Kurdes disséminés entre la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie."
Le serpent et la mouche
Abdullah Öcalan est né à Omerli, village de la province de Sanliurfa, dans le sud-est de la Turquie. A la maison, "peu d'amour familial ni discipline", expliqua-t-il lors de son procès retransmis à la télévision, qui a tenu en haleine la Turquie en 1999.
"Ma passion était de parcourir les montagnes", dit-il. "Les villageois me connaissaient à la fois comme le chasseur de serpents et celui qui ne fait pas de mal à une mouche."
Après un bon parcours scolaire, il commence à militer à l'extrême gauche lors de ses études de sciences politiques à Ankara, développant les idées qui mèneront à la création du PKK d'obédience marxiste en 1978 puis au lancement de la lutte armée en 1984, après la prise du pouvoir par les militaires en 1980.
Exilé en Syrie, il en est expulsé en 1998 en raison des pressions exercées par Ankara. Il se lance dans une course à l'asile politique en Europe, qui le mènera en Grèce, en Russie et en Italie avant sa capture au Kenya le 15 février 1999.
En dépit de sa longue période d'isolement, Abdullah Öcalan a maintenu une certaine emprise sur ses combattants dans le nord de l'Irak, le sud-est de la Turquie et sur les militants du PKK en Europe. Mais il s'est aussi plaint le mois dernier de ne pas être compris par son propre parti.
Hugh Pope, de l'International Crisis Group, juge pourtant que les circonstances n'ont jamais été aussi favorables à un règlement du conflit kurde en Turquie.
"Les bonnes personnes sont dans la même pièce. Le mouvement kurde est ouvert à un règlement et Öcalan semble, par toutes ses actions, authentiquement disposé à conclure un accord."
Du chef kurde, la presse turque diffuse aujourd'hui des photographies en train d'observer placidement des pigeons lors de son exil à Damas.
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