
Le blogueur vietnamien Huynh Ngoc Chenh a reçu le prix 2013 du Net-Citoyen décerné par Reporters sans frontières. Il revient pour FRANCE 24 sur les difficultés d’être un blogueur engagé dans l’un des cinq pires pays “ennemis d’Internet”.
Malgré la censure, 15 000 Vietnamiens visitent quotidiennement son blog, l’un des plus populaires dans un pays où le régime contrôle étroitement Internet. Huynh Ngoc Chenh a reçu mardi 12 mars - à l’occasion de la journée contre la cybercensure - le prix du Net-Citoyen 2013 décerné, le 7 mars, par l’ONG Reporters sans frontières (RSF). Une récompense annuelle attribuée, depuis quatre ans, à une personnalité qui se distingue par son activisme sur Internet en faveur de la liberté d'expression.
“Nous n’étions même pas sûr que Huynh Ngoc Chenh puisse sortir du pays pour recevoir son prix”, a déclaré Christophe Deloire, directeur général de RSF, lors de la cérémonie de remise du prix qui s’est déroulée dans les locaux parisiens de Google, partenaire de cette opération. Finalement, cet ancien journaliste de 61 ans a pu faire le voyage et profité de cette tribune pour “dédier le prix à tous les blogueurs et opposants qui se battent pour changer les choses au Vietnam”.
Le pays est en effet dans le top cinq des États “ennemis d’internet” selon le dernier classement de RSF. Il y figure en bonne compagnie aux côtés de la Chine, de l’Iran, de la Syrie et du Bahrein. Huynh Ngoc Chenh a profité de son passage en France pour raconter à FRANCE 24 la difficulté de critiquer le régime communiste vietnamien et l’emprise des autorités sur Internet.
FRANCE 24 : Comment expliquez-vous le succès de votre blog au Vietnam ?
Huynh Ngoc Chenh : J’ai créé mon blog en 2008, mais la fréquentation a vraiment augmenté à partir de 2010. C’est à ce moment que je me suis mis à critiquer les manœuvres chinoises d’intimidation à l’égard du Vietnam et le conflit territorial autour des îles en mer de Chine méridionale [deux archipels regroupant une centaine d’îles inhabitées sont revendiqués par plusieurs pays dont la Chine et le Vietnam, NDLR]. À partir de ce moment là, j’avais entre 40 000 et 50 000 visiteurs par jours.
Comment se sont manifesté les velléités des autorités vietnamiennes de vous empêcher d’écrire votre blog ?
Dès que la fréquentation a explosé, les autorités se sont intéressées de plus près à ce que j’écrivais. Ils se sont alors aperçus que je traitais, en plus des conflits territoriaux avec la Chine, les questions de démocratie au Vietnam et la politique économique absurde du pays. Ils ont contacté le rédacteur en chef du journal pour lequel je travaillais à l’époque ["Thanh Nien" - Les jeunes, NDLR] pour lui demander de m’interdire de continuer mon blog. J’ai tenu bon.
Mais aujourd’hui votre blog est censuré par les autorités ?
Oui. Et les Vietnamiens qui voudraient lire mon blog doivent utiliser des moyens techniques détournés pour y accéder. Malgré la censure, environ 15 000 personnes continuent à visiter quotidiennement le site.
Vous avez déclaré que vous êtes suivi et mis sur écoutes à cause de ce que vous écrivez ?
À ma connaissance, je ne suis plus suivi à l’heure actuelle. Mais mon téléphone est toujours sur écoutes. Je le sais parce que la dernière fois que j’ai organisé un rendez-vous par téléphone pour participer à une manifestation, je me suis retrouvé dans un café où j’attendais quelqu’un entouré de dix agents qui m’ont fait comprendre que je ferais mieux de rentrer chez moi. D’ailleurs, ils m’ont raccompagné.
Vous êtes l’un des rares blogueurs vietnamiens qui utilisent son vrai nom sur Internet, n’est-ce pas dangereux ?
Ce sont uniquement les blogueurs les plus en vue qui utilisent un pseudonyme par mesure de sécurité. Je n'ai pas fait ce choix car pour moi c’est une question de déontologie. Lorsque je dénonce les agissements d’une personne ou d’une institution, j’estime qu’il est important que j’endosse la responsabilité de mes dires.
Malgré vos écrits, le fait que vous utilisiez votre vrai nom, vous n’avez jamais été arrêté alors que les autorités n’hésitent pas à s’en prendre aux blogueurs pour leurs opinions (*), comment vous l’expliquez ?
Je me fixe une limite : ne jamais critiquer directement l'État vietnamien et rester dans la légalité du système en place. Je louvoie, c’est-à-dire que je ne fais que dénoncer les agissements illégaux ou contestables de personnes et d’institutions du régime.
Au début, j’avais, en effet, peur d’être arrêté. Mais au fur et à mesure que de plus en plus de Vietnamiens expriment leurs opinions sur des blogs, cette crainte s’estompe même si je sais que ça reste risqué.
Pensez-vous que ce que vous écrivez peut faire évoluer les choses au Vietnam ?
C’est difficile à dire. Tout ce que je sais, c’est que depuis que j’ai commencé à écrire sur mon blog, en 2008, le nombre de Vietnamiens qui se sont tournés vers Internet pour appeler à des réformes dans le pays a considérablement augmenté. Les gens ont moins peur qu’avant de s’opposer à certaines décisions des autorités en place. Je ne dirais pas que c’est grâce à moi, mais qu’il y a eu un mouvement, auquel j’ai participé, qui a contribué à rendre internet un moyen d’expression plus populaire au Vietnam.
*Avec 31 net-citoyens en prison en mars 2013, le Vietnam est la troisième prison du monde pour les acteurs de l’information en ligne.