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L'élection du premier pape venu des Amériques a été saluée par l’ensemble des dirigeants d’Amérique du Sud, sous-continent où la pensée catholique mâtinée des doctrines de gauche n’est pas vue d’un bon œil par le Vatican.
C’est du bout des lèvres que la présidente argentine, Cristina Kirchner, a salué l’élection comme pape, mercredi 13 mars, de son compatriote Jorge Mario Bergoglio. "Nous lui souhaitons, comme conducteur et guide de l'Église, une tâche pastorale fructueuse dans l'exercice de si grandes responsabilités à la recherche de la justice, de l'égalité, de la fraternité et de la paix de l'humanité", a indiqué via un communiqué la chef de l’État, qui a régulièrement eu maille à partir avec celui qui fut l’archevêque de Buenos Aires avant de devenir, mercredi, le premier souverain pontife des Amériques.
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À plusieurs reprises, Jorge Bergoglio s’est en effet publiquement insurgé de l’autoritarisme du clan Kirchner, qui dirige l’Argentine depuis 2003. Élue en 2007 pour succéder à son mari Nestor, Cristina Kirchner a, quant à elle, souvent jugé les prises de position de ce jésuite, notamment sur les questions de société, telles la contraception et le mariage homosexuel, proches du "Moyen Âge" et de "l’Inquisition".
Présenté comme un homme humble et austère, le pape François ne passe pas uniquement pour un conservateur. Ses œuvres en faveur des plus pauvres lui ont valu d’être considéré comme le porte-voix des déshérités. Une casquette qui, dans un continent à forte majorité catholique et clairement positionné à gauche, suscite des espoirs. Même parmi ses dirigeants.
Le président socialiste de l’Équateur, Rafael Correa, catholique fervent, s’est fendu, mercredi, d’un tweet enthousiaste : "Nous avons un pape latino-américain ! Nous vivons des moments historiques, sans précédent". Au Mexique, où près de 84 % des gens sont baptisés, le président Enrique Peña Nieto a lui aussi partagé sur son compte Twitter son "approbation du choix du premier souverain pontife d'origine latino-américaine".
Pour sa part, la numéro un brésilienne, Dilma Rousseff, a indiqué que "les fidèles" attendaient le nouveau chef de l’Église "avec expectative" à Rio de Janeiro, où doivent se dérouler, en juillet, les prochaines Journées mondiales de la jeunesse (JMJ). "Cette visite, dans un laps de temps si court après le choix du nouveau pape, renforce les traditions religieuses brésiliennes et les liens qui unissent le Brésil au Vatican", affirme le communiqué de la présidence.
"Un choix politique"
Cet enthousiasme quasi-unanime des dirigeants du sous-continent pour cette désignation témoigne de sa grande portée symbolique sur cette terre catholique. "L’Amérique du Sud est le continent où l’on compte le plus grand nombre de catholiques, mais la percée de l’évangélisme y est aujourd’hui importante, affirme Georges Couffignal, directeur de l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (IHEAL). Il y a, dans cette région du monde, une lutte des Églises. La nomination du pape François est le signe qu’au Vatican il y a une volonté de renforcer le catholicisme en Amérique du Sud."
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"L’Amérique du Sud connaît une multiplication de sectes évangélistes", abonde Jean Ortiz, professeur à l’université de Pau, spécialiste de l’Amérique latine. Avant de trancher : "L’Église y est en recul car elle s’est trop éloignée du peuple. Aussi a-t-elle voulu partir à la reconquête de ses fidèles, mais pas sur des bases progressistes. Le fait que l’archevêque Bergoglio se soit opposé aux époux Kirchner lorsqu’ils ont voulu porter les bourreaux de la dictature militaire devant les tribunaux reste particulièrement troublant. Son élection est un choix politique. Certes, il s’agit du premier pape non-européen, du premier pape sud-américain, mais derrière ces attributs du changement, il y a une volonté de contrecarrer le mouvement de libération qui se joue en Amérique du Sud."
Si l’élévation d’un Sud-Américain au rang de Saint-Père a été bien accueillie dans le sous-continent, ailleurs dans le monde quelques voix de gauche se sont fait entendre contre la nomination d’un cardinal dont la rigueur doctrinale ainsi que le rôle trouble joué lors de la dictature militaire argentine (1976-1983) laissent perplexe.
En France, le chef de file du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, fut le premier responsable politique, en Hexagone, a exprimé ses réserves. "L'élection de Jorge Mario Bergoglio comme nouveau pape n'est pas une bonne nouvelle pour les progressistes du monde chrétien ni pour la révolution citoyenne en Amérique du Sud, écrit dans un communiqué l’ancien socialiste, fervent défenseur des mouvements de gauche sud-américains. Silencieux sous la dictature militaire puis à l'heure des jugements des militaires criminels [...] le nouveau chef de l'Église catholique devra prouver qu'il n'a pas été élu pour déstabiliser les régimes progressistes de l'Amérique latine [...] Compte tenu de l'affichage favorable aux pauvres, il faut espérer qu'il soit plutôt enclin à aider ceux qui en sont actuellement les porte-parole en politique et dans le christianisme amérindien."
Marx, le Che et la Vierge de Lourdes
En clair, la désignation d’un pape présenté comme étant celui "des pauvres" n’est-elle pas également un moyen de court-circuiter des dirigeants de gauche toujours prompts à s’en référer au ciel. "À l’image de Hugo Chavez, qui citait volontiers le Christ, mais jamais le pape, les présidents latino-américains sont de fervents catholiques, rappelle Georges Couffignal. "Pour les militants de gauche, il y a le Che, Marx et la Vierge de Lourdes", insiste Jean Ortiz.
De cette fusion de doctrines religieuses est née, à la fin des années 1960, la théologie de la libération, dont se revendique notamment le président Rafael Correa. Courant de pensée catholique passé au vernis du socialisme, ce dogme, qui plaide en faveur de l'auto-émancipation des pauvres, n’a jamais été du goût du Vatican et de ses cardinaux. "Jorge Mario Bergoglio est très proche des pauvres mais il déteste la lutte des classes, commente Georges Couffignal. Son élection est également un moyen de combattre la théologie de la libération".
Les craintes de voir un pape capable d’influer sur la politique intérieure des pays d’Amérique du Sud semblent néanmoins démesurées. "L’Église n’a quasiment jamais été absente du débat politique. Elle continue de peser de tout son poids, mais sans qu’il soit considérable", tempère le directeur de l’IHEAL. Et de rappeler : "Jorge Mario Bergoglio n’était, certes, qu’encore archevêque de Buenos Aires mais il n’est pas parvenu, par exemple, en juillet 2010, à empêcher l’adoption en Argentine du mariage homosexuel."