Uhuru Kenyatta a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle kényane du 4 mars. Avec son colistier William Ruto, il est appelé à comparaître devant la Cour pénale internationale pour son rôle durant les violences post-électorales de 2007.
Il sera sans doute le premier président élu de la planète à devoir s’absenter quelques mois après son élection pour comparaître devant la Cour pénale internationale de La Haye (CPI). Vainqueur de l’élection présidentielle kényane du 4 mars, Uhuru Kenyatta est, en effet, accusé, avec son colistier William Ruto, d’avoir participé à l’organisation des violences post-électorales de 2007 qui avaient coûté la vie à près d’un millier de personnes. Alors que des centaines de Kikuyus - l’ethnie de Kenyatta - étaient tués par des ethnies rivales, celui-ci est accusé d’avoir financé les Mungiki, un gang de coupeurs de têtes, pour les venger.
Pendant la campagne, Uhuru Kenyatta a toujours rejeté les accusations de la CPI à son encontre et promis de coopérer avec elle. Mais les Kényans s’interrogent maintenant sur la façon dont Kenyatta et Ruto vont diriger le pays depuis La Haye où ils sont supposés se rendre en personne - à partir du 28 mai pour Ruto et du 9 juillet pour Kenyatta. Ruto, 46 ans, a expliqué qu’il était tout à fait capable de faire deux choses en même temps : "On peut mâcher un chewing-gum et monter les escaliers en même temps". Le président élu et son colistier se sont voulus rassurants, évoquant la possibilité de diriger le gouvernement avec Skype, ou en se passant le relais à la barre. Cette dernière option est cependant impossible : président ou pas, une fois le procès entamé, l’accusé sera soumis au bon vouloir de la CPI.
Le 7 février, Johnnie Carson, le responsable Afrique du département d’État américain, a mis en garde les Kényans des "conséquences" de leurs "choix". Même si le diplomate américain n’avait donné le nom d’aucun candidat, sa déclaration a été largement comprise comme un avertissement : une victoire de Kenyatta affecterait les relations du pays avec la communauté internationale.
Loin de dissuader les électeurs, la mise en accusation de Kenyatta et de son colistier par la CPI semble, au contraire, avoir eu l’effet inverse. Uhuru Kenyatta a été déclaré vainqueur du scrutin dès le premier tour avec 50,07 % des suffrages grâce à 4 000 voix d'avance sur son adversaire, Raila Odinga, qui dénonce des irrégularités massives dans le scrutin et annonce son intention de se pourvoir devant la Cour suprême.
Kenyatta "a réussi à se présenter comme un révolutionnaire défiant les impérialistes qui cherchaient à saper la souveraineté du Kenya", analyse Rasna Warah, dans le Daily Nation, le premier quotidien kényan. Son discours a parlé à un grand nombre d'électeurs, d’autant plus que le père d’Uhuru Kenyatta n’est autre que Jomo Kenyatta, le premier président du Kenya indépendant. Certains Kényans ont vu dans la mise en accusation du candidat Kenyatta une tentative de complot de la part des Occidentaux pour punir le fils de celui qui a mené le pays à l’indépendance. "Kenyatta a dit clairement que cette élection était 'un référendum contre la CPI', ajoute l’éditorialiste. Il est fort probable que s’il n’y avait pas de dossier à la CPI, il n’aurait pas brigué la présidence", poursuit l’éditorialiste.
itMoyens et mobilisation
Reste que si "les affaires de la CPI ont joué un rôle prééminent dans la campagne", selon Ken Opalo, doctorant à l’université de Stanford, cité par le Daily Nation, elles n’expliquent qu’en partie la victoire d’Uhuru Kenyatta. "Ce qui a le plus joué dans la victoire d’Uhuru Kenyatta, c’est la conjonction de la providence démographique [la forte mobilisation de son camp, NDLR] et des moyens engagés", nuance-t-il. La coalition "Jubilee" de Kenyatta et Ruto représentait un bloc ethnique rassemblant plus du quart des 41 millions de Kényans. Une alliance cependant jugée artificielle par de nombreux observateurs, les deux communautés s’étant violemment affrontées dans la vallée du Rift en 2007-2008.
"La combinaison des compétences de Ruto et de l’argent de Kenyatta a été très efficace", confirme Daniel Branch, universitaire à la Warwick University, dans le Daily Nation. Le fait que Kenyatta appartienne à l’une des familles les plus riches d’Afrique - sa fortune est estimée à 500 millions de dollars par le magazine Forbes - lui a permis d’engager beaucoup de moyens dans la campagne pour se payer, par exemple, les services de la prestigieuse entreprise de relations publiques britannique BTP Advisers. Quant à ceux qui évoquent l’achat de voix par son camp, rien n’a pour l’instant pu être prouvé...
Quoi qu'il en soit, l’accusation de la CPI met la communauté internationale dans une position délicate vis-à-vis de l’un des pays les plus stables d’Afrique de l’Est, qui est par ailleurs un allié-clé de l’Occident dans la lutte contre les terroristes islamistes Shebab en Somalie. Les économistes et les spécialistes de la zone doutent, en effet, que des sanctions puissent être prises contre le Kenya.
Toutefois, un refroidissement des relations kényanes avec l’Europe et les États-Unis pourrait laisser le champ libre à un rapprochement avec la Chine, jusque-là restée silencieuse sur les accusations de la CPI.
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