Depuis jeudi, un mouvement de contestation au sein de la police et des forces anti-émeutes égyptiennes fait tâche d'huile. Des milliers d'agents sont en grève pour protester contre leur instrumentalisation par les islamistes au pouvoir.
D'Alexandrie au Caire, les forces de l'ordre en ont ras le képi et le font savoir. Depuis jeudi dernier, un mouvement de contestation sans précédent au sein de la police égyptienne prend de l'ampleur. Des milliers d'agents se sont mis en grève à travers tout le pays, alors que seules quelques villes étaient touchées jusqu'alors.
Signe que le malaise est profond : ces derniers jours, la grogne s'est également étendue aux forces anti-émeutes, les Forces de la sécurité centrale (FSC)... qui n'avaient plus connu un tel mouvement depuis 1986. À Ismaïliya, sur le canal de Suez, les FSC ont ainsi refusé de se rendre dans la ville voisine de Port-Saïd, où les heurts entre policiers et manifestants ont fait une cinquantaine de morts, dont trois policiers, depuis fin janvier. M. Morsi a dû faire appel à l'armée pour assurer la sécurité à Port-Saïd.
Convaincus d'être instrumentalisés par le pouvoir en place, accusés d'usage excessif de la force par l'opposition et les jeunes manifestants hostiles au président islamiste Mohamed Morsi et aux Frères musulmans, policiers et FSC ont donc décidé de ne plus obéir aux ordres de leur hiérarchie.
Dépolitiser la police
"Nous suspendons notre travail sine die car nous refusons d'assumer la responsabilité des erreurs du gouvernement qui veut nous impliquer dans le conflit politique, affirme à l'AFP Hassan Mostafa, un colonel de police à Port-Saïd. Toute la société est contre nous, elle considère les manifestants (tués dans les heurts) comme des martyrs, alors que nous n'avons même pas le droit de nous défendre", ajoute celui-ci, traduisant le sentiment de la plupart de ses collègues qui se sentent détestés par leurs concitoyens alors qu'ils assurent respecter simplement les consignes.
De son côté, le général Hefni Abdel Tawab, du QG de la police à Alexandrie, explique, lui, dans les colonnes du journal "Al-Chorouk", que les policiers "font les frais de conflits politiques, alors qu'ils risquent des poursuites judiciaires (si des manifestants meurent) ou d'être tués" dans les heurts.
Les policiers veulent une loi établissant clairement leurs pouvoirs et leurs devoirs, et réclament des armes pour faire face aux manifestations violentes qui se multiplient depuis novembre.
Pour essayer d'apaiser les tensions, le ministre de l'Intérieur, Mohamed Ibrahim, a limogé le commandant de la police anti-émeutes, vendredi dernier, et l'a remplacé par un nouveau chef. Dimanche, ce dernier a également pris la défense des forces de l'ordre, même s'il a affirmé que les contestataires étaient minoritaires au sein de l'institution. Les policiers n'ont pas "effectué un seul tir" sur des manifestants depuis le début du soulèvement populaire de 2011, a-t-il déclaré.
"Limoger le ministre de l'Intérieur"
"Nous poursuivrons notre grève jusqu'à ce que le gouvernement accepte nos revendications, à savoir éloigner la police de la politique (...) et limoger le ministre de l'Intérieur", a répliqué, pour sa part, le colonel Mohamed Fawzi, du QG de la police au Caire, dans le journal "Al-Chorouk".
Cette grève intervient alors que l'Égypte a connu une nouvelle flambée de violences, ce week-end, à la suite de la confirmation de la condamnation à la peine de mort de 21 supporters de Port-Saïd pour leur rôle dans l'émeute et la bousculade qui avaient fait 74 morts l'an dernier, en marge d'un match de football, et que le président Morsi est fortement contesté par une partie de la population.
La police est mal vue depuis des décennies par une bonne partie de la population égyptienne. Et malgré la chute début 2011 de Hosni Moubarak, qui s'appuyait sur un appareil policier brutal et tentaculaire, elle est toujours considérée comme un instrument de répression. Selon les organisations égyptiennes de défense des droits de l'Homme, plus de 70 manifestants ont, en effet, été tués depuis novembre dernier. Les accusations d'enlèvement ou de tortures ayant coûté la vie à deux jeunes militants, Mohammed El-Guendi et Mohammed el-Chafeï, ont récemment suscité une vive émotion et relancé les appels à la réforme.
Pour certains commentateurs, cette rébellion des forces de l'ordre est d'ailleurs très inquiétante : "Le ministère de l'Intérieur est sur le point de s'effondrer (..) et je ne vois d'autre solution qu'une élection présidentielle anticipée", a ainsi affirmé Abdel Rahmane Youssef, un éditorialiste islamiste modéré, dans "Al-Chorouq".
Avec dépêches