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Uhuru Kenyatta élu président d'un Kenya divisé

, envoyée spéciale au Kenya – La Commission électorale au Kenya a proclamé, samedi, Uhuru Kenyatta vainqueur de la présidentielle avec 50,07 % des voix contre 43,3 % pour son adversaire. Un résultat aussi bien acclamé que contesté dans un pays profondément divisé. Reportage.

Au terme de quatre jours de tensions, de reports et de recomptages, qui avaient fait le lit des soupçons et des incertitudes au Kenya, le suspense a pris fin samedi, avant l'aube, lorsque, selon des résultats provisoires, Uhuru Kenyatta a été déclaré vainqueur de la présidentielle du lundi 4 mars à l'issue du premier tour. L’officialisation de sa victoire par la Commission électorale, est survenue ce samedi, avant midi.

La barre des 50 % indispensables pour éviter un second tour ayant été franchie (50,07 % des électeurs ont voté en faveur du vice-Premier ministre sortant), les célébrations ont débuté vers 3 heures du matin, heure locale, dans la vallée du Rift et de la Province centrale, bastions de Kenyatta.
"Happy Uhuru day", s’est exclamé un jeune homme tout de rouge vêtu, la couleur de la campagne Kenyatta, dans la ville de Kikuyu, située à 20 kilomètres à l'ouest de la capitale Nairobi. Hissé sur un camion peint en rouge, un homme en tee-shirt rouge it
Kenyatta est sous le coup d'une inculpation pour crimes contre l'humanité
Uhuru Kenyatta élu président d'un Kenya divisé

harangue la foule :

- "Uhuru, hein ?"
- "Uhuru ah", lui répond la foule.
- "Jubilee hein ?" (du nom de la coalition Jubilee dirigée par Uhuru Kenyatta), relance l’orateur.
- "Jubilee ah," hurle la foule.
De son côté, Robinson Njogu Mwaura, qui a été réveillé, dans son village près de Kikuyu, par le son des vuvuzelas et de klaxons des voitures peine à cacher son bonheur. "Il y a beaucoup de joie dans mon cœur, je savais que Uhuru allait gagner, mais je craignais un second tour, confie-t-il. Désormais, je suis heureux car les gens vont pouvoir se consacrer à leur vie et à la reconstruction du pays. "
De la présidence à la Cour pénale internationale ?
Le fils du père de l'indépendance du Kenya, Jomo Kenyatta, est la première personnalité politique à être élue chef d’un État, tout en étant inculpée par la Cour pénal internationale (CPI). Des charges de crimes contre l'humanité, en rapport avec l'explosion de violences post-électorales en 2007 qui a fait plus de 1 200 morts, pèsent sur lui. Son colistier, William Ruto, est également poursuivi par le tribunal de La Haye. Leur procès devrait être repoussé au mois d'août, ont déclaré en début de semaine les procureurs de la CPI.
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Portrait de Uhuru Kenyatta

"Cyniquement, on peut dire merci à la CPI d’avoir mis en accusation Kenyatta et Ruto", note Abdullahi Halakhe un expert de la Corne de l'Afrique. "Ils ont instrumentalisé le procès de la CPI pendant la campagne en jouant la carte nationaliste - et cela a fonctionné", argumente-t-il.

Dans le bar Kaskazinee à Kikuyu, l'ambiance jubilatoire s’est muée en tumulte après l’entrée de visiteurs "étrangers à la ville". "Dites à l'Europe d’aller en enfer, nous allons faire des affaires avec la Chine", s’exclame Karioki. "Ils disent que nous avons voté pour des suspects, or si Uhuru est un criminel, alors tous les Kenyans sont des criminels".
Issu de la tribu dominante des Kikuyu, Uhuru Kenyatta a battu le Premier ministre sortant Raila Odinga, un Luo qui enregistre à 68 ans sa troisième défaite présidentielle. Un résultat qui s’inscrit dans la continuité d’un statu quo en vigueur au Kenya, une nation d'Afrique orientale qui n'a jamais été le théâtre d’un coup d'État ou d’une révolution. Depuis 50 ans, ce pays a eu quatre présidents, trois Kikuyu et un Kalenjin. La courte victoire de Uhuru Kenyatta sur Raila Odinga, dans une nation profondément divisée, va être contestée par le perdant devant les tribunaux. Si ce dernier a appelé ses partisans à respecter l'État de droit malgré la défaite, ce scénario fait craindre une poussée de fièvre sur fond de tensions ethniques.
Jour de "deuil" dans les zones Luo
Car dans les zones dominées par les Luo, il y a peu de signes qui laissent croire que le pays est prêt à s'unir. Dans le bidonville tentaculaire de Kibera à Nairobi, un bastion Luo, la tension est montée crescendo au cours des derniers jours, tout au long du processus de comptage des voix. Kibera a été le théâtre des pires violences qui avaient suivi le scrutin de 2007, remporté par le président sortant actuel Mwai Kibaki face à Raila Odinga et dont le résultat avait été contesté. Ce dernier avait été nommé Premier ministre suite à une médiation menée par Kofi Annan, l’ancien Secrétaire général de l’ONU.
"Je suis en deuil", déclare George, un employé de 43 ans. "Nous avions besoin d'un changement, or il n'y en aura pas", a-t-il ajouté. Mais tout le monde ne partage pas la résignation de George. "Nous ne l'accepterons pas", hurle une jeune femme qui a refusé de donner son nom, dans un bar délabré du bidonville. "Pas de Raila, pas de paix", tranche-t-elle. Assis non loin d’elle et sirotant un verre de changaa - un puissant breuvage local qui signifie littéralement "tuez moi vite", Ariba Nicolas, un chômeur de 40 ans, hoche la tête en silence.
"Les Kikuyu veulent tout, dit-il. Ils pensent qu'ils doivent être les maîtres. Quand vous allez en ville, chaque bâtiment et chaque véhicule appartient aux Kikuyu. Ils veulent tout et nous n’aimons pas cela", poursuit-il.
Si la rhétorique post-changaa peut paraître dure, les experts affichent le même discours, mais sur un ton plus mesuré. "Les Kikuyu estiment qu'ils sont censés être les leaders, ce qui n’est pas de bon augure pour réaliser l'unité nationale", souligne Abdullahi Halakhe. "Le nouveau président devrait avoir pour objectif d'être le guérisseur en chef du pays", ajoute-t-il avant de conclure : "Mais il est peu probable que cela arrive".