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Les quatre vies de Stéphane Hessel

L’ancien résistant français, auteur du célèbre manifeste "Indignez-vous !", est décédé dans la nuit de mardi à mercredi. Retour sur les multiples vies de l’homme qui incarnait une certaine forme de révolte à la française.

L’ancien résistant et diplomate français Stéphane Hessel, auteur du best-seller "Indignez-vous !", est mort dans la nuit de mardi à mercredi à l'âge de 95 ans. Son manifeste paru en 2010 a inspiré plusieurs mouvements de protestation pacifique dans le monde. Retour sur les épisodes les plus marquants de la vie d’un homme qui incarnait une certaine forme de résistance à la française.

Jules et Jim

Stéphane Hessel évoquait son enfance dans un entretien accordé à Télérama en 2008 en revenant sur la personnalité anti-conformiste de sa mère, née Helen Grund. Les années d’adolescence du futur résistant sont marquées par l’histoire d’amour entre son père, sa mère, et son amant, l’écrivain français Henri-Pierre Roché. Une expérience qui a rapproché Stéphane Hessel de celui qu’il décrit comme "une sorte de second père".

"L’irruption de cette force de la nature et de la passion qu’est Helen Grund donne à [Franz Hessel et Henri-Pierre Roché] un vrai choc. Tous deux l’aiment. L’un l’épouse et l’autre l’enlève à son mari. Mais rien n’altère leur amitié", confiait ainsi Stéphane Hessel à l’hebdomadaire culturel au sujet de son enfance. Ce trio amoureux est immortalisé dans le long-métrage "Jules et Jim", un chef d’œuvre de François Truffaut réalisé au début des années 1960.

Lorsque Helen Hessel décide de vivre avec son amant à Paris, entre 1924 et 1933, le jeune Stéphane se découvre rapidement un attachement à la France.

"Dès mon entrée en sixième, j’étais absolument sûr que la France, avec sa culture et sa langue, serait mon pays", affirmait ainsi le vieux résistant dans son ouvrage "Citoyens sans frontières".

Résistance et déportation

Bercé d’une enfance et d'une adolescence anti-conformiste, Stéphane Hessel est envoyé au front à 22 ans, lors des journées noires de la Seconde Guerre mondiale. Mobilisé en 1939 (après avoir été reçu à l’École normale supérieure), il parvient à s’évader et à rejoindre le général de Gaulle à Londres.

"Je suis d’une génération qui, pendant la guerre, tout en étant antimilitariste, a voulu se battre, a rejoint le général de Gaulle parce qu’il continuait à se battre, et a fortement subi l’influence philosophique d’un engagement dépassant d’une certaine façon la morale classique", rapportait le nonagénaire lors de son entretien à Télérama.

Stéphane Hessel s’accroche à cet engagement au péril de sa vie. Renvoyé en France en 1944 pour la cause de la Résistance, il est capturé par la Gestapo et déporté à Buchenwald, où il ne doit son salut qu’à un audacieux coup de poker - il échange son identité avec un autre prisonnier mort du typhus. Le résistant français survivra aux tortures nazies, s’échappera pendant son transfert vers le camp de Bergen-Belsen avant de rallier les troupes américaines à Hanovre.

Diplomatie et Palestine

La fin de la Seconde Guerre mondiale marque le début de sa carrière de diplomate. Stéphane Hessel travaille alors au secréteriat général de l’ONU, où il prend part à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Une période cruciale dans sa vie, alors qu'il n'est âgé que de 31 ans.

"Ce sera peut-être la période la plus ambitieuse de ma vie, avec le sentiment prenant de travailler non pour l’éternité, mais pour l’avenir. On prépare le monde de l’après-guerre avec la mémoire immédiate de ce qui s’est passé durant les cinq années de guerre", se souvient-il dans son entretien à Télérama.

Le diplomate Stéphane Hessel occupera ensuite des postes dans plusieurs grandes villes de l’ancien empire colonial français - Brazzaville, Saïgon, Alger - avant de développer des prises de positions anti-colonialistes. La Palestine deviendra sa grande cause internationale.

Horrifié par les pertes civiles libanaises et gazaouis lors des guerres de 2006 et de 2008, Stéphane Hessel met dès lors tout son poids moral et diplomatique au service de la défense des droits des Palestiniens. Rappelant que son père était juif, Stéphane Hessel expliquait en 2011 à un reporter du New York Times que, tout en étant solidaire des juifs du monde entier, il refusait de se laisser enfermer dans un soutien aveugle à Israël au moment où la colonisation des terres arabes battait son plein.

Indignez-Vous !

Les dernières années de la vie de Stéphane Hessel seront marquées par la publication de son petit opus "Indignez-vous !", peu avant les fêtes de fin d'année, en 2010. Alors que les prémices du Printemps arabe agitent la Tunisie et que la colère gronde contre des élites occidentales compromises par la crise économique mondiale, le petit livret d’environ 4 000 mots - soit cinq fois la taille de cet article - enflamme rapidement les esprits de la jeunesse européenne.

Le manifeste s’écoule à 4 millions d’exemplaires et est traduit en 34 langues. L’ancien résistant détaille les thèmes qui suscitent son indignation - le creusement des inégalités dans le monde, le traitement sécuritaire de l’immigration, l'occupation de la Palestine, etc. - en rappelant les grands idéaux du programme du Conseil national de la résistance.

Au-delà des références franco-françaises, le livre de Stéphane Hessel est perçu à l’étranger comme un appel citoyen à s’impliquer directement en politique (sans nécessairement s’engager dans un parti) et à lutter pour l’intérêt général face aux dérives du système financier. L’esprit citoyen de l’ouvrage se matérialise finalement avec l’apparition du mouvement des Indignados en Espagne, en mai 2011.

Au crépuscule de sa vie, Stéphane Hessel passe ainsi le flambeau d’une certaine forme de résistance au mouvement des Indignés, qui migre à travers le monde - de la place Puerta del Sol, à Madrid, au siège du Parlement grec, en passant par le campement "Occupy Wall Street", à New York - au fil des soubresauts de l’époque.