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Actuellement en tournée en Europe et au Moyen-Orient, le nouveau secrétaire d’Etat américain, John Kerry, semble avoir une conception de sa fonction radicalement différente de celle d'Hillary Clinton.

À Washington et ailleurs, tout le monde le répète depuis le début de l’année : en succédant à Hillary Clinton, c’est un défi ambitieux que va devoir relever John Kerry au département d’État. Mais alors que celui-ci effectue actuellement sa première tournée à l’étranger - d’une durée de 11 jours, elle doit le conduire en Europe et au Moyen-Orient -, son approche du poste semble, déjà, très différente de celle de son prédécesseur, dont la diplomatie de "rock-star" a été louée.

Alors que Clinton s’est battue pour restaurer l’image des États-Unis, très abîmée après huit ans de présidence de George W. Bush, on prête ainsi à Kerry des objectifs bien plus précis et, peut-être, plus ambitieux. Reste à savoir si le président Barack Obama, connu pour être particulièrement impliqué dans le façonnage de la politique étrangère américaine, lui accordera l’autonomie nécessaire pour les atteindre...

Or, justement, le choix de la première tournée officielle de John Kerry semble illustrer ce tiraillement qui pourrait définir la relation entre le président et son secrétaire d’État. Alors que la Maison Blanche souhaitait qu’il se rende en Asie pour poursuivre les efforts d’Hillary Clinton en vue de réorienter la politique étrangère américaine en direction de la Chine et de ses voisins, Kerry a défendu une destination plus en adéquation avec son expérience et ses objectifs. Après avoir participé à plusieurs rencontres à Londres, lundi, il s’est rendu à Berlin, mardi, avant de venir en France, mercredi, où il a de la famille. Il prendra ensuite la direction de l’Italie, de la Turquie, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Qatar.

Son passage à Rome sera particulièrement scruté : il doit, en effet, y rencontrer des membres de l’opposition syrienne et assister à des discussions sur la question iranienne, ainsi que sur un nouvel accord commercial avec l’Europe, dont Barack Obama a déjà parlé dans son discours sur l’État de l’Union, à la mi-février.

"Depuis Nixon, aucun président n’a autant accaparé la politique étrangère"

Selon sa feuille de route, tout porte à croire que Kerry tente de s’attaquer en priorité aux problèmes du moment, plutôt que de poser les bases d’une stratégie diplomatique à plus long terme, comme l’avait fait Clinton.

« Après l’attaque de l’ambassade américaine à Benghazi et alors que le Mali et la Syrie sont toujours en guerre, il travaille sur la position des États-Unis face au terrorisme islamiste, en particulier dans ces pays et leurs voisins qui vivent une période de transition politique », explique ainsi un ancien conseiller d’Hillary Clinton, consultant politique au département d’Etat, sous couvert d’anonymat.

« La plupart des dossiers qui intéressent le plus John Kerry – l’Afghanistan, le Pakistan et le monde arabo-musulman à la suite des printemps arabes – relevaient largement, jusqu’à présent, du pré-carré de la Maison Blanche et du secrétariat à la Défense », ajoute ce dernier.

De nombreux experts en politique internationale doutent en effet qu’Obama acceptera de laisser à Kerry la marge de manœuvre qu’il réclame. « Depuis Richard Nixon, aucun président n’a autant accaparé la politique étrangère. Il ne délègue pas », relève Aaron David Miller, ancien conseiller des présidents Bill Clinton et George W. Bush, dans un article publié sur le site Politico cette semaine.

En conséquence, Clinton s’est donc attelée à des projets de moindre envergure, comme la défense des droits des femmes et la liberté de la presse, ou la normalisation des relations diplomatiques avec la Birmanie.

Selon Peter Mandaville, analyste politique, professeur à l’Université George Mason et ancien conseiller au département d’Etat, « Kerry va tenter de se concentrer sur une politique étrangère plus classique et sur les questions de sécurité nationale, alors qu’Hillary Clinton s’était, elle, davantage concentrée sur le développement de nouvelles approches diplomatiques, devenues depuis sa marque de fabrique. »

Le point culminant d’une longue carrière

La renommée de Clinton impressionnait par ailleurs ses interlocuteurs à l’étranger et lui donnait une carte à jouer face à l’administration d’Obama. En vue de valider son champ d’action avec la Maison Blanche et de négocier des accords avec les dirigeants de la planète, Kerry, lui, ne pourra pas jouer de sa célébrité, comme le faisait son prédécesseur.

Cependant, fait remarquer un ancien conseiller de Clinton, cette moindre célébrité lui donne aussi plus de liberté. Pendant ses quatre années à la tête de la diplomatie américaine, Clinton avait effectivement déjà en vue la présidentielle de 2016 et voulait donc se préserver, gardant en considération ce qui allait être retenu de son passage à ce poste. Au contraire, Kerry considère son poste actuel comme le point culminant d’une longue carrière (près de 30 ans au Sénat et une tentative à la présidentielle de 2004).

Le secrétaire d’Etat devrait ainsi se montrer, par exemple, plus impliqué dans le dossier israélo-palestinien alors que Clinton l’avait éliminé de ses priorités après avoir échoué à ramener les deux parties à la table de négociations. Ainsi, ce serait John Kerry qui aurait convaincu Obama d’effectuer un voyage en Israël le mois prochain – son premier dans le pays depuis son arrivée à la Maison Blanche. Kerry pourrait être, en outre, très tenté de travailler avec Obama à la mise en place d’une nouvelle stratégie au Moyen-Orient depuis que les centristes sont sortis renforcés des récentes élections israéliennes

Reste que le nouveau secrétaire d’Etat pourrait voir ses aspirations contrecarrées par un embrouillamini de conflits internationaux inextricables, même pour les plus brillants esprits de la diplomatie américaine, qui travaillent dessus depuis des années. "Intellectuellement, il semble capable de remettre en cause le statu quo et d’imaginer des solutions originales. La question est de savoir s’il pourra agir selon ses idées », s’interroge Miller dans Politico.