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La France, avec un déficit de 3,7 % en 2013, selon les projections de la Commission européenne annoncées vendredi, pourrait se voir accorder un délai pour atteindre l'objectif des 3 %. Analyse de Benjamin Coriat, membre des "Économistes atterrés".

Au regard des prévisions pessimistes pour la zone euro, dévoilées vendredi 22 février, la Commission européenne a évoqué la possibilité, sous certaines conditions, de repousser à 2014 l’objectif des 3 % de déficit public pour la France.

Benjamin Coriat, professeur d’économie à Paris-XIII et coprésident du collectif des "Économistes atterrés", y voit un certain assouplissement de la position de la Commission européenne qui, selon lui, semble aujourd’hui prendre en compte les conséquences ravageuses du "retour accéléré à l’équilibre budgétaire", sans pour autant renoncer aux objectifs de sa politique.

FRANCE 24 : Comment interprétez-vous la clémence de la Commission européenne par rapport au déficit que la France a annoncé pour 2013 ?

Benjamin Coriat : La C ommission se rend compte qu’elle a mis la barre très haut avec le Traité budgétaire européen qui impose aux pays signataires un retour accéléré à l’équilibre… et que cela se traduit par la récession.

La Commission peut lever le pied d’autant plus facilement qu’elle a gagné sur le fond. On le voit dans le cas de la France qui s’est engagée dans de grandes réformes structurelles - tel l'accord récent sur la flexibilité du travail -, et dans des coupures budgetaires très significatives pour tenter de réduire son déficit et sa dette. La  Commission a tout intérêt à ne pas mettre trop de pression sur les pays membres pour qu’ils continuent de marcher dans la voie qu’elle a tracée.

F24 : Peut-on parler de rétropédalage ?

B. C. : J’aimerais répondre que oui. La Commission se rend compte que ça ne marche pas, que le chômage explose, que l’économie des pays membres s’effondre. En ce sens, oui, il y aurait rétropédalage. Mais cette attitude n'est que circonstancielle car la Commission a obtenu des contreparties de taille : les États sont quand même engagés dans des politiques de coupes dans leurs dépenses sociales. La Commission, intelligemment, est prête à lever le pied pour maintenir le cap.

Pourtant, il est évident que la politique économique imposée en Europe aujourd'hui ne fonctionne pas, ni sur le plan économique ni sur le plan social. En Grèce, c’est un échec monumental, avec des conséquences sociales catastrophiques. On massacre la Grèce en silence. En Espagne et au Portugal, ça ne marche pas davantage. Le chômage en Espagne touche plus d’un quart de la population active, les malades n’ont pas de médicaments, on ne parvient plus à payer les retraites… Il semble que l’Irlande est plus ou moins en train de s’en tirer, mais avec un chômage de 15 %. La belle affaire !

F24 : En tant qu’économiste, quelle politique défendez-vous pour l’Europe ?

B. C. : Ce que nombre d’économistes prônent, c’est de ne pas à tout prix modérer la dette publique et l’ajustement des dépenses aux dépens de l'emploi. La politique de la Commission se résume à ça : ‘tant pis si le chômage atteint 15, 20 ou 25 % tant que les dépenses sont équilibrées’. C’est une logique complètement suicidaire.

Nous, les ‘économistes atterrés’, proposons un raisonnement inverse : une politique qui permette de renouer avec une activité et une croissance élevées de manière à pouvoir rembourser la dette, mais sur une durée plus longue. Les dettes devraient se payer sur 15 ou 20 ans. On ne peut envisager le retour aux équilibres sur trois ou quatre ans, comme on peut le voir aujourd’hui ! Attention, la question n’est pas d’éviter de payer la dette... mais de relancer l’activité afin de pouvoir la rembourser, en aménageant délais et conditions.

Nous ne sommes pas les seuls à dire ça. L'OFCE  [Observatoire français des conjonctures économiques] tient le même discours. C’est aussi celui des Nobel d’économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman qui ont lancé un appel en faveur d’un retour à une économie "raisonnable". Malheureusement, la Commission s’acharne à jouer la dette contre le chômage.

F24 : Pourquoi persiste-t-elle dans cette voie ?

B. C. : Tout est fait dans l’intérêt de l’Allemagne. C’est l’Allemagne qui en ce moment tient réellement les rênes de la Commission européenne. Berlin tire beaucoup de bénéfices de cette politique du ‘retour accéléré à l’équilibre’. C’est le seul pays d’Europe à avoir une structure économique qui est déjà à l’équilibre, notamment parce qu’il enregistre une démographie catastrophique, il ne se retrouve donc pas avec la problématique des jeunes qui peinent à trouver des emplois. L’économie de l’Allemagne, très tournée vers les exportations, lui permet de tirer bénéfice d’un euro fort et d’enregistrer des bénéfices commerciaux énormes. Au détriment de ses voisins européens : il suffit de regarder la France, avec ses 10 % de chômage, avec ses prévisions de déficit qui passent de 3 % à quasiment 3,7 %... En fait, tout est un problème de déséquilibre de gouvernance générale de l’Union européenne. Il faut refonder l'Europe si on veut lui donner une chance.