
Le cinéaste français Claude Lanzmann recevra jeudi un Ours d'or d'honneur des mains du jury de la Berlinale pour l'ensemble de son œuvre. Un symbole fort pour l'auteur du documentaire "Shoah" qui se voulait libérateur pour les Allemands.
Ému et fier, le réalisateur français Claude Lanzmann se prépare à recevoir, jeudi 14 février, un Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière lors de la Berlinale, le festival international du film qui se tient à Berlin jusqu'au 17 février.
"Cela me fait très plaisir, cela m’émeut, cela me rend fier, confie-t-il à FRANCE 24, à quelques heures de la remise officielle de sa récompense. J’aime les ours, tous les ours, et un Ours d’or c’est encore mieux," plaisante-t-il. Le symbole est fort pour l’homme, attaché au cours de sa vie à perpétuer la mémoire de l'extermination des juifs par l'Allemagne nazie, qui a souhaité que son œuvre-phare, "Shoah", soit libératrice pour les Allemands. À 87 ans, il parle désormais d’une "mission accomplie."
Dès sa première diffusion en Allemagne en 1986, un an après sa sortie en France, le documentaire fleuve de neuf heures et demi sur le génocide des juifs en Europe durant la Seconde Guerre mondiale a été très bien reçu. "Le film a été accueilli magnifiquement par le public allemand," se souvient-il. "Shoah", l’œuvre d’une vie selon certains, a occupé 11 années de celle de Claude Lanzmann.
Toutefois, au-delà de ce succès, c’est la carrière entière du résistant de Clermont-Ferrand qui est mise à l’honneur au cours de la 63e édition du festival. Jeudi soir, ce sera "Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures", un film dédié à la seule révolte réussie dans un camp d’extermination, qui sera projeté dans le cadre de la Berlinale. "C’est un film sur des juifs qui tuent des Allemands, le fait de le diffuser, ça a de la classe, du panache !" commente Claude Lanzmann, qui ne tarit pas d’éloges sur le travail de mémoire du peuple allemand. "Je trouve que, dans l’ensemble, les Allemands ont bien travaillé, plus que les Français, d’une certaine façon", confiait-il récemment dans un entretien accordé à l’AFP. Possiblement une manière d’évoquer la guerre en Algérie, dont il fut l’un des fervents opposants.
Une carrière tournée vers Israël
Très marqué par son enfance au cours de laquelle son père lui a enseigné la méfiance à l’égard des SS, Claude Lanzmann est fils d’immigrés juifs de l’Europe de l’Est. Très vite après la fin de la guerre, il veut se confronter aux Allemands en civil et part à Berlin. Il y restera deux ans, subjugué par cette ville sous blocus qu’il qualifie de "merveilleuse". "Berlin est une ville avec laquelle j’ai des relations singulières," résume-t-il.
Bande annonce du film "Shoah"
Claude Lanzmann embrasse ensuite une carrière couronnée de succès. Journaliste, il devient directeur de la revue Les Temps modernes, co-fondée par Simone de Beauvoir dont il fut le compagnon. Il est par ailleurs acclamé par la critique pour ses mémoires intitulées "Le Lièvre de Patagonie", considérées comme un recueil de témoignages historiques du XXe siècle. D’autres documentaires ont toutefois inspiré des critiques plus mesurées, à l’instar de "Tsahal" ou "Pourquoi Israël". Ainsi, l’absence, par exemple, d’évocation de la guerre au Liban dans son documentaire sur l’armée israélienne a contribué à bâtir l’image partiale d’un représentant de l’État hébreu.
À la question "pourquoi cette récompense aujourd’hui ?", le cinéaste se contente de répondre qu’"aujourd’hui c’est très bien," qu’il n’est pas encore mort. Vivant, l’homme l’est bel est bien : un nouveau documentaire, intitulé "Le Dernier des injustes", consacré au Grand-Rabbin de Vienne sous le nazisme, sortira courant 2013... l’année du 80e anniversaire de l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler.