
Quelques secondes avant la publication du rapport hebdomadaire sur les réserves de gaz aux États-Unis, les cours se sont affolés fin janvier. Le trading à haute fréquence avait perturbé le marché des ressources naturelles. Récit.
C’est une histoire de 400 millisecondes. Le 31 janvier 2013, à 10h29 et 59 secondes, soit moins d’une seconde avant la publication du rapport hebdomadaire sur les réserves américaines de gaz, le marché international de cette ressource naturelle s’est affolé.
Des milliers d’ordres ont été émis quasi-simultanément, le cours s'est s’effondré, puis... plus rien. Le rapport n’avait rien apporté de révolutionnaire et les cours retrouvérent alors tranquillement un niveau plus normal.
Quelque chose pourtant s'était passé ? Un bug informatique ? Non, répond le site Nanex qui traque les mouvements de trading à haute fréquence [opérations boursières ultrarapides réalisées à l’aide de programmes informatiques, NDLR]. Pour ce site, qui a relaté l’épisode le 5 février, il s’agirait d’un des premiers exemples de délits d’initiés par algorithme assisté.
“Maintenant que les autorités américaines ont affirmé qu’ils ne voyaient pas d’intérêt à poursuivre des personnes qui ont des informations quelques millisecondes avant les autres, il ne faut pas s’étonner de voir ce genre de chose arriver”, affirme Nanex. En somme, il suffirait de disposer d’une information et de ne l’utiliser qu’au tout dernier moment afin de faire un bon profit et n'être passible d'aucune peine.
Une belle théorie qui ne résiste cependant pas à la réalité. D’abord, le rapport hebdomadaire ne contenait aucune information justifiant une baisse des cours du gaz. D’ailleurs, peu après l’annonce, tout est lentement mais sûrement rentré dans l’ordre.
Terrain de jeux pour traders à haute fréquence
Ensuite, ce n’est pas la première fois qu’un tel affolement se produit sur le marché du gaz. En fait, il semble revenir presque toutes les semaines au moment de la publication des réserves américaines. Par exemple, le 16 août 2012 “à 16h29, une minute avant la publication des chiffres, le marché perd soudain trois centimes de dollars soit une variation de 1%, un mouvement des prix orchestré par des algorithmes ayant envoyé des milliers d’ordres”, raconte ainsi le site spécialisé dans la finance Margin Call.
Ce qui se passe, plus probablement, c’est que les quelques petits génies de la finance qui utilisent le trading à haute fréquence ont trouvé avec le marché du gaz un terrain de jeux propice à “une manipulation des cours pas très saines”, assure à FRANCE 24 Eric Valatini, un trader français pour une grande banque.
Le marché du gaz naturel est “étroit, c’est-à-dire que le nombre d’ordres nécessaires pour influer le cours est moins important que sur d’autres marchés”, raconte Eric Valatini. Par ailleurs, il n’y a pas beaucoup de facteurs qui influent dessus. Donc, en se concentrant sur l’annonce hebdomadaire des réserves américaines, les accros à l’algorithme boursier sont quasiment sûrs de faire mouche.
Comment ça marche ? Eric Valatini explique : “Ce 31 janvier, 7 000 ordres ont été envoyés en 25 millisecondes pour seulement 1 000 transactions réellement effectuées, c’est-à-dire qu'une personne, grâce à un algorithme, a passé des ordres de ventes qu’il a annulés sur le champs ce qui ne lui coûte rien mais fait baisser les cours”.
Intervient alors la finesse de l’opération : pour éviter des pertes en cas de mauvaises surprises dans le rapport, des investisseurs enregistrent par avance des ordres de ventes qui ne doivent être déclenchés que si le cours baisse. Théoriquement, rien ne devrait influer sur le prix du gaz avant le rapport. En pratique l’opération des traders à haute fréquence déclenche ces ordres qui accentuent alors le mouvement à la baisse. Les petits malins derrière leur algorithme “achètent alors au plus bas et pourront revendre quand le cours sera revenu à la normal”, explique Éric Valatini.
Pas de solution
Rien d’illégal là-dedans, le trading à haute fréquence n’étant pas régulé sur les marchés financiers. Mais, cette pratique “fausse la donne et des investisseurs, généralement des industriels qui achètent et vendent du gaz pour des besoins réels, se retrouvent à vendre sans raison objective ce qui peut se traduire par des pertes importantes”, regrette Éric Valatini.
Une pratique qui illustre à quel point le trading à haute fréquence peut être néfaste pour des marchés “étroits” comme celui du gaz et d’autres ressources naturelles. “De nombreux professionnels ont ainsi cessé toute activité au moment de la publication des stocks hebdomadaires, ratant de facto l'un des mouvements de prix les plus puissants de chaque semaine”, relate Margin Call.
Pourquoi alors ne pas mettre des limites à ces opérations dopées à l’informatique ? C’est plus simple à dire qu’à faire. “Les autorités américaines y réfléchissent mais n’ont pas encore trouvé le bon moyen technique pour y arriver”, explique Éric Valatini. En outre, les instances qui gèrent les marchés financiers ont plutôt tendance à apprécier ces nouvelles techniques : il touche, en effet, de l’argent à chaque transaction et le trading à haute fréquence en génère beaucoup...