![Iran : un lieutenant d’Ahmadinejad au cœur de la guerre des pouvoirs Iran : un lieutenant d’Ahmadinejad au cœur de la guerre des pouvoirs](/data/posts/2022/07/18/1658125423_Iran-un-lieutenant-d-Ahmadinejad-au-c-ur-de-la-guerre-des-pouvoirs.jpg)
Saïd Mortazavi, ex-procureur général de Téhéran, a été arrêté lundi soir et libéré deux jours plus tard. Cette personnalité controversée, fidèle lieutenant du président Ahmadinejad, se trouve aujourd’hui au cœur de rivalités politiques.
"Mortazavi est l’un de ces personnages très très glauques, que tous les régimes autoritaires du monde ont connus". C'est par ces quelques mots que Bernard Hourcade, directeur de recherche et spécialiste de l’Iran au CNRS, décrit Saïd Mortazavi, ex-procureur de Téhéran, arrêté lundi et libéré deux jours plus tard dans la capitale iranienne. Incarcéré jusqu’à ce mercredi dans la tristement célèbre prison d’Evin, l’homme est visé par une enquête judiciaire concernant la mort de plusieurs manifestants interpellés au cours des protestations qui avaient suivi la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la tête du pays en 2009.
Sur les ordres de ce fidèle lieutenant du président iranien, 147 manifestants avaient été emprisonnés en juillet 2009 dans la prison clandestine de Kahrizak, dans le sud de Téhéran, entassés dans une cellule de 70 m2 quatre jours durant, sans nourriture et sans chauffage. Trois détenus n’en étaient pas ressortis vivants. Mortazavi avait alors assuré qu’ils avaient succombé à une méningite fulgurante. Mais le rapport de l’enquête parlementaire, commandée à l'époque par le président du Parlement et rival d’Ahmadinejad, Ali Larijani, avait imputé les décès au "manque de place, aux mauvaises conditions sanitaires, à une alimentation insuffisante, à la chaleur, au manque de ventilation et également à des violences physiques".
"Boucher de la presse"
Aussi peu anecdotique qu’il soit, cet épisode n’est qu’une illustration des nombreux faits d’armes imputés à l’ex-patron de la justice iranienne, aujourd’hui âgé de 45 ans. Son acharnement contre les médias lui a notamment valu le charmant surnom de "boucher de la presse". Il a emprisonné les journalistes, blogueurs, chroniqueurs, humoristes par dizaines, a censuré les journaux à tour de bras, a ordonné la fermeture de nombreux titres de presse… La journaliste et photographe irano-canadienne, Zahra Kazemi, est victime de cette répression en 2003. Interpellée à l’extérieur de la prison d’Evin alors qu’elle réalisait un reportage sur les familles de prisonniers, elle est violemment frappée au cours des interrogatoires, auxquels assistait Saïd Mortazavi. Elle meurt en juillet 2003 d’une hémorragie cérébrale. Selon sa famille, des traces de torture étaient visibles sur son corps.
Mortazavi n’a jamais été inquiété. Il n’a jamais eu à répondre non plus des nombreuses accusations de viol, de torture et de meurtre dans les prisons qu’il avait sous sa juridiction. Washington, qui l’a soumis à des sanctions en 2010, l’accuse de "violations sévères et récurrentes des droits de l’Homme". L’ONG Human Rights Watch l’a pour sa part qualifié de "violeur en série des droits de l’Homme". "Il est le symbole de la répression et de la non-évolution d’une République islamique extrêmement dure, expliquait Bernard Hourcade mardi, à la veille de sa libération. Mortazavi est un personnage politique important, son élimination est un signe fort". Sa mise à l'écart n’aura finalement duré que 48 heures.
Vengeance politique
Selon le chercheur, la brève incarcération de l’ex-procureur iranien reflète la volonté d’une partie de la classe dirigeante de calmer le jeu, à l’approche des élections présidentielles du 14 juin prochain, alors que le mécontentement populaire gronde toujours. Cette arrestation n’a en revanche pas du tout été du goût d’Ahmadinejad qui l’a qualifiée d’acte "hideux". Dans une colère noire lundi, lors de son départ pour le Caire où il devait participer au sommet de coopération islamique, le chef de l’État avait assuré qu’il "s’occuperait de cette affaire" à "son retour à Téhéran".
L’interpellation de Mortazavi est le dernier épisode en date d’une lutte entre les différents clans politiques au pouvoir en Iran : en septembre 2012, Ali Akbar Javanfekr, l'ancien conseiller de la presse d'Ahmadinejad et ex-directeur de l'agence officielle Irna, avait été incarcéré pour "atteinte aux codes islamiques". La tension politique est aujourd'hui à son comble entre Mahmoud Ahmadinejad, dont le second et dernier mandat arrive à son terme, et Ali Larijani, dont l’ambition présidentielle n’est un secret pour personne. Le 3 février, les deux hommes se sont violemment affrontés en pleine séance du Parlement iranien, le Majlis, où ils se sont mutuellement accusés de corruption, de népotisme, d’immoralité…
"En huit ans, Ahmadinejad a réussi à construire un courant politique en Iran, et à tisser un vaste réseau à travers le pays, analyse Bernard Hourcade. Ce réseau de gens qu’il a mis en place un peu partout est aujourd’hui visé. Le jeu [du camp de Larijani, NDLR] est d’éliminer ces gens qui ont le pouvoir, juste avant les élections, de mettre hors d’état de nuire leurs adversaires politiques. On assiste là à une bataille de coqs, à une guerre entre anciens du régime".