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, envoyé spécial à Tel Aviv – Contre toute attente, le Likoud de Benjamain Netanyahou est sorti affaibli des législatives en Israël mardi. Les Israéliens ont exprimés d'autres préoccupations, plus sociales. Envoyé spécial à Tel Aviv, Sylvain Attal tire les leçons du scrutin.
On disait qu’il ne se passerait rien dans cette élection, et on avait bien tort.
Finalement, il a bel et bien trouvé sa traduction dans les urnes, ce mouvement des "indignés" de l’été 2011. On croyait que Benjamin Netanyahou avait réussi à noyer le poisson en faisant, par exemple, baisser le prix des communications sur les téléphones mobiles, grâce à l’entrée d’un nouvel opérateur. Mais un politicien, fut-il aussi fin tacticien que lui, peut-il rouler dans la farine un demi-million de gens, de citoyens de la classe moyenne qui travaillent dur et ont quand même du mal à joindre les deux bouts (sans parler d’acheter un appartement), pendant que des fortunes s’amassent ?
Mardi 22 janvier, par une belle journée inspirant un printemps précoce (après une sacrée tempête), cette classe moyenne n’a pas renversé la table. Elle n’a pas décapité "Bibi", le "roi d’Israël", mais lui a juste adressé un rappel : "Bibi, toi aussi tu es mortel."
En fait de roi, il serait plutôt un phénomène de la fin du siècle dernier, lancé en politique dans les années 1990 par ses interventions sur CNN, dans un anglais sans accent. Cela faisait chic à Tel Aviv, où l’on regarde tellement vers les "States", au point d’avoir créé ici un petit New York sur la Méditerranée. Mais cela aussi, à l’heure d’Internet et des réseaux sociaux, cela fait un peu daté. Surtout Bibi était un très bon client pour les télévisions, mais il n’aurait jamais dû passer de l’autre côté, jouer les animateurs. Souvenez-vous de sa présentation funeste (et funèbre) à la tribune de l’ONU sur la "menace iranienne" censée être entrée dans sa dernière phase. "Moi, Netanyahou le magicien, je vais vous expliquer simplement comment ça marche", semblait-il nous dire. Avec le dessin d’une bombe que même un enfant de trois ans comprendrait. Juste ridicule. L’intervention provoqua une pluie de commentaires affligés et esclaffés sous la vidéo postée, vue et revue sur YouTube.
À ce jeu là, Bibi n’allait pas tarder à trouver son maître en Yaïr Lapid, sémillant quinquagénaire (son charme grisonnant n’est pas le dernier de ses atouts), ex-présentateur d’un célèbre talk show télévisé.
Où est passé Bibi le stratège ?
Ces deux-là vont constituer un duo qu’il sera intéressant de voir fonctionner. Il paraît que Bibi le prend pour un amateur qu’il n’aura pas de mal à amadouer, lui le grand pro de la politique. Le grand pro dont, soit dit en passant, tout le monde commence à remettre en question le talent de stratège. Par exemple ceci : est-elle de lui ou de son "spin doctor" américain Arthur Finkelstein cette idée brillante de faire liste commune avec Avigdor Lieberman, ministre démissionnaire en délicatesse avec la justice ?
Bibi croit sans doute qu’il va encore réussir un tour de magie en faisant disparaître cette nouvelle "idole centriste". C’est vrai que le pays en a connu d’autres comètes politiques qui ne durent qu’une élection. Le père de Yaïr Lapid en fut d’ailleurs une.
Bibi le caméléon qui, le visage encore rouge de la claque qu’il venait de recevoir, reprenait mot pour mot les priorités de Lapid pour les années à venir : des logements abordables pour tous, une réforme des pratiques politiques et la fin des privilèges des ultra-orthodoxes en matière de service militaire. C’était d’autant plus facile que le Likoud n’avait même pas songé à publier de programme électoral. Il est vrai que personne n’y croit plus trop, mais on les lit quand même, des fois qu’on s’y retrouve. Rappel de quelques fondamentaux de la science politique qu’il est bon de ne pas oublier.
"Pas d’alternative comme leader"
Exit en tout cas l’Iran, dont d’ailleurs il n’avait quasiment pas parlé durant la campagne. Un aveu tardif qu’il avait quelque peu monté le sujet en épingle, fidèle à sa stratégie : créer l’angoisse d’un péril existentiel pour mieux se présenter comme le seul en mesure de protéger non seulement les Israéliens, mais aussi les juifs en danger partout dans le monde. En résumé, un nouveau messie. Et si, finalement, dans ce beau pays si prospère et iconoclaste, les Israéliens lui avaient répondu simplement qu’ils ne se sentaient pas si menacés que cela. Qu’ils n’avaient pas besoin qu’on leur sauve la vie, mais juste qu’on la leur facilite un peu. Ou bien encore qu’eux aussi pouvaient être perçus, à l’occasion, comme une menace par leurs voisins. "Un rejet de la stratégie de la peur et de la haine", a dit Lapid, commentant le résultat, en journaliste qu’il est toujours. C’était bien envoyé.
Bref, Netanyahou reste en place, et c’est peut-être la chose qui lui importe le plus. Parce que les électeurs n’ont pas eu confiance non plus dans les recettes "socialisantes" de la gauche. 40 % des électeurs de Lapid se disent d’ailleurs de droite. Il reste au pouvoir avant tout parce qu’"il n’y avait pas d’alternative comme leader", admet Boaz, un jeune père de famille qui a pourtant voté Tzipi Livni. Celle qui aurait pu mais a laissé passer sa chance il y a quatre ans. Il aurait pu voter Lapid, comme à peu près un électeur sur quatre à Tel Aviv.
Tel Aviv la frondeuse, la fêtarde, la profane, qui attire le monde entier mais se montre ingrate avec ses habitants. Boaz s’est d’ailleurs retrouvé avec les partisans de Lapid, au lendemain de la "victoire", dans un bar tendance du boulevard Carlebach, où le nouvel héros de la politique centriste avait l’habitude de venir tous les mercredis soir. Il étaient des centaines de "middle class, middle aged", tassés, assis, debout, sur les tables, à chanter jusqu’au milieu de la nuit, espérant la venue du champion. Mais il ne vint pas, déjà tout à sa nouvelle vie de futur ministre.
Un signe qui ne trompe pas à ce propos : en général le partenaire le plus important du Premier ministre dans la coalition obtient le poste de ministre des Affaires étrangères. C’est prestigieux, on voyage, on rencontre des gens importants dans le monde entier et on s’occupe du "processus de paix". Aux dernières nouvelles, Lapid n’en veut pas, ni pour lui ni pour son parti. Il préfèrerait les Finances et des portefeuilles où l’on peut espérer agir sur la vie quotidienne des gens.
Une si coûteuse colonisation
C’est vrai, on l’a dit, que les Israéliens n’ont pas voté en pensant à la paix, ou encore aux printemps arabes. Ils pensent tout simplement que l’affaire est trop compliquée, qu’il n’y a pas de réelle volonté de part et d’autre d’en finir avec le conflit. Ils sont fatalistes. Même Lapid, qui demande un retour aux négociations, a confié récemment qu’il "ne croyait pas que les Arabes souhaitaient la paix".
Une majorité d’Israéliens pense comme lui, même si elle continue de croire que la solution ne peut être que dans deux États. La paix n’a pas été au cœur du débat, mais il y a un sujet qui y ramène, c’est celui de la colonisation, car il a un rapport direct avec le malaise de la classe moyenne. Cette colonisation coûte en effet cher en subventions, en dépenses de sécurité pour y attirer des habitants qui ne sont pas toujours des boutefeux, mais s’y installent par nécessité. Justement, les logements y sont confortables et bon marché. Indépendamment du conflit que cela crée avec l’allié américain, est-il bien raisonnable de poursuivre cette politique aux dépens de l’Israël "de l’intérieur", quand le budget accuse déjà un déficit de 10 milliards de dollars et que l’on parle déjà d’une inévitable cure d’austérité ? C’est cette aberration qu’a voulu dénoncer la "majorité silencieuse", selon l’expression consacrée.
Après la poussée de colère de l’été 2011, on l’a croyait endormie, passive. En donnant une leçon de démocratie, elle a signifié au contraire qu’elle veillait. Qu’elle croyait encore au "rêve israélien", mais qu’il avait juste besoin de cohésion entre ses habitants pour devenir (ou redevenir réalité). Pour cela, au-delà de Lapid, elle envoie pratiquement 40 % de nouveaux députés à la Knesset, pour la plupart des novices, signifiant à la vieille politique qu’elle n’a qu’à bien se tenir.
"Ce rêve a trouvé sa traduction dans cette leçon de démocratie", c’est la première interprétation qu’en fait le politologue Denis Charbit, professeur à l’université de Tel Aviv.
Il s’est passé, enfin, une chose assez étonnante dans ce vote surprise (une semaine avant le vote le député travailliste Daniel Bensimon nous disait à quel point il craignait un vote de repli, tribal) : alors que nombre de plumes "expertes" jugeaient la société israélienne au stade terminal du communautarisme, il semble bien que le vote pour Lapid ait transcendé ces catégories. Cette "majorité silencieuse"- qui ne s’est pas seulement porté sur le centre - ne répond à aucun stéréotype. Il y a là des intellectuels ashkénazes ; des juifs orientaux qui ont réussi à se faire une petite place au soleil mais sentent comme un "plafond de verre" au-dessus de leur tête ; des "Russes" qui ne sont pas tous des oligarques ; des religieux aussi, qui se souviennent que la Bible n’est pas un manuel de commando mais enseigne aussi l’amour du prochain, et ne veulent pas imposer leur façon de vivre.
Dans une région à feu et à sang, voilà une petite étincelle de modération qu’il ne faut pas laisser s’éteindre.