logo

Le torchon brûle entre les Émirats et les Frères musulmans d'Égypte

La tension monte entre les Émirats arabes unis et les Frères musulmans égyptiens. Notamment depuis l'arrestation par les forces de sécurité émiraties (photo) d'Égyptiens "liés à la direction" de la confrérie.

Les relations déjà houleuses qu’entretiennent les Émirats arabes unis et les Frères musulmans d’Égypte, depuis la chute de leur allié Hosni Moubarak, ne risquent pas de s’apaiser en ce début d’année. Depuis plusieurs jours, en effet, la tension ne cesse de monter entre la Fédération des monarchies du Golfe, et la confrérie, dont est issu le président égyptien Mohamed Morsi.

Poussée de fièvre diplomatico-sécuritaire
Le 1er janvier, un quotidien émirati, Al-Khaleej, a rapporté le démantèlement d'un groupe composé de dix ressortissants égyptiens "appartenant au réseau et liés à la direction" de la confrérie. "Les Frères musulmans égyptiens ont donné des cours au réseau sur les moyens de changer les régimes dans les pays arabes", rapporte le journal, porte-voix du pouvoir.
Les suspects sont accusés de diriger une "organisation qui tenait des réunions secrètes aux Emirats" et "recrutait des expatriés égyptiens pour rejoindre leurs rangs". Ils auraient aussi "collecté de larges sommes d'argent qu'ils ont envoyées illégalement à l'organisation mère en Egypte", poursuit le journal, en affirmant que le réseau avait en outre recueilli des informations classées secrètes liées à la défense.
Jeudi, c’est le Sénat égyptien qui est monté au créneau en formant une commission d'enquête chargée de suivre cette affaire. La structure aura pour tâche d'"œuvrer pour la libération des médecins égyptiens aux Emirats et d'enquêter sur les circonstances de leur arrestation", selon le président de la chambre Ahmad Fahmi. La veille, un émissaire égyptien, dépêché à Dubaï, a eu des entretiens avec des dirigeants émiratis. Il avait notamment remis une lettre destinée au monarque émirati, cheikh Khalifa ben Zayed Al-Nahyane.
De son côté, le porte-parole de la confrérie, Mahmoud Ghozlan, a dénoncé auprès de l'AFP une "campagne injuste" contre ses compatriotes aux Emirats, affirmant que les accusations à leur encontre n'avaient "aucun fondement".
"Effet tâche d’huile"
Cette poussée de fièvre diplomatico-sécuritaire ne semble pas étonner les experts. "À l’exception du Qatar, les monarchies du Golfe entretiennent des relations tumultueuses avec les Frères musulmans", décrypte le politologue Karim Sader, spécialiste des pays du Golfe. En effet, la confrérie jouit d’une influence certaine, depuis plusieurs décennies, au sein du palais de l’émir du Qatar, par ailleurs grand argentier du mouvement au pouvoir en Egypte.
"S’ils épousent l’islam puritain prôné par les Frères musulmans, les dirigeants émiratis honnissent et craignent leur activisme politique, une pratique qui est d’ailleurs tout simplement bannie dans ces monarchies et qu’ils perçoivent comme une menace pour leur pouvoir", poursuit le politologue contacté par FRANCE 24.
"Ils craignent un effet tache d’huile, même s’ils préfèrent sans doute avoir des Frères au pouvoir en Egypte qu’une force démocratique", précise de son côté Walid Kazziha, professeur de Sciences politiques à l’Université américaine du Caire (AUC), interrogé par l’hebdomadaire égyptien al-Ahram en ligne.
"Diaboliser toute velléité de contestation"
Toutefois, les Emirats semblent à l’abri d’un soulèvement populaire piloté en sous-main par la confrérie. "S’il n’est pas exclu que certains au sein des Frères musulmans peuvent ambitionner de s’étendre dans le Golfe, en surfant sur la vague du printemps arabe, la priorité de la confrérie reste cependant de consolider son pouvoir encore fragile en Egypte", note Karim Sader. D’autant plus que l’économie égyptienne est dépendante de l’aide financière extérieure, notamment en provenance des monarchies du Golfe. Selon al-Ahram en ligne, près de 250 000 Egyptiens résident aux EAU, et 500 entreprises de ce pays opèrent en Egypte avec des investissements de l’ordre de 10 milliards de dollars.
"De l’autre côté, même si l’existence de cellules est réelle, cette menace n’a sans doute pas l’ampleur que les Émiratis lui donnent, poursuit Karim Sader. Ces derniers ont tout intérêt à exagérer cette menace afin de diaboliser toute velléité de contestation politique interne, un risque bien réel celui-ci, en l’associant au péril islamiste et en l’inscrivant dans le cadre d’un complot étranger".
En mars dernier, le chef de la police de Dubaï, Dhahi Khalfane, avait ouvertement accusé les Frères musulmans de comploter pour renverser les monarchies arabes du Golfe. "Les Frères musulmans entendent s’emparer du gouvernement koweïtien en 2013, avec l’objectif d’être en place dans tous les gouvernements des pays du Golfe d’ici à 2016", a récemment déclaré cet officier, célèbre sur la Toile de par ses tweets acerbes adressés aux Frères. Début octobre, le ministre émirati des Affaires étrangères avait, quant à lui, accusé la confrérie de "ne pas reconnaître la souveraineté" des Etats.
"En somme, conclut Karim Sader, en utilisant un vocabulaire très policier à l’égard des Frères musulmans, voire en les apparentant à des terroristes comme le fait Dhahi Khalfane, les Emirats envoient des avertissements musclés tant à l’extérieur du pays qu’à l’intérieur à tous ceux qui seraient tentés d’importer l’agitation sociale ou politique au sein de la Fédération".