Des imams pakistanais appellent la population à soutenir une campagne anti-polio, quelques jours après les meurtres de neuf humanitaires en mission pour tenter d'éradiquer cette maladie qui sévit toujours dans le pays.
Après le meurtre de neuf humanitaires de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l'Unicef, les 18 et 19 décembre à Peshawar et Karachi, au Pakistan , qui travaillaient pour une campagne nationale contre la poliomyélite, des imams pakistanais ont appelé la population à soutenir la campagne anti-polio lors de la prière traditionnelle du vendredi.
"Tuer des travailleurs innocents qui vont d'un quartier à un autre pour sauver des enfants d'une maladie mortelle comme la poliomyélite est contraire à l'islam. Il s'agit d'un acte de terrorisme", a dit lors du sermon, ce vendredi, Qari Ahsan Siddiqui, qui dirigeait la prière de la mosquée Ghousia de Karachi (sud), selon l'AFP.
"Tout le monde doit s'assurer qu'aucun enfant n'échappe à la vaccination", a-t-il ajouté. "La polio est un danger pour les générations futures et nous devrions tous prendre conscience qu'en s'opposant à la campagne contre la polio, nous mettons en danger la vie de nos enfants", a renchéri Abdul Khaliq Faridi, de la mosquée Mohammadi dans le centre de la ville.
Une épidémie en expansion
Son appel n’est pas vain. Si la quasi-intégralité de la planète a réussi à éradiquer la polio, le Pakistan, tout comme l’Afghanistan et le Nigeria, continuent de voir l’épidémie s’étendre. Au Pakistan, la situation n’a d’ailleurs fait qu’empirer depuis les soupçons d’espionnage qui pèsent sur la CIA. L’agence américaine a, en effet, monté une opération dans laquelle, sous couvert d’une campagne de vaccination contre la polio, elle essayait en fait de récolter des informations sur Oussama Ben Laden - finalement tué par l’armée américaine en 2011.
"Si l’éradication de la polio devait rester au point mort au Pakistan, la CIA serait à blâmer", estime le journaliste spécialiste de la santé du quotidien britannique The Guardian. "La décision d’utiliser un programme d’immunisation pour les enfants comme couverture pour un médecin pakistanais - Shakil Afridi - qui espionnait Oussama Ben Laden pour le compte de la Maison-Blanche a été désastreuse. Cela a renforcé les suspicions qui planaient déjà dans l’esprit de certains dignitaires islamistes ", poursuit-il.
La théorie du complot américain
Les islamistes radicaux n’ont cependant pas attendu l’affaire Afridi pour s’en prendre aux campagnes de vaccination contre la polio. En 2007 déjà, dans le nord du pays, près de 24 000 familles avaient refusé de faire vacciner leur enfant contre le virus, pensant que le vaccin était en fait un poison utilisé par les Américains pour stériliser les enfants musulmans. Au total, ce sont 160 000 enfants qui n’ont pas été immunisés.
D’où leur venait cette idée ? Peut-être en partie du mollah Fazlullah qui avait dénoncé "une conspiration des juifs et des chrétiens pour arrêter la croissance des musulmans" sur les ondes de sa radio illégale, probablement basée dans la région du Swat, où plus de 4 000 enfants n’ont, de ce fait, pas été vaccinés.
Les efforts des autorités pakistanaises
Les autorités pakistanaises ont néanmoins fait des efforts pour tenter d’éradiquer le virus : avec l’aide de la fondation de Bill et Melinda Gates, ils ont relancé une campagne qui devait toucher 35 millions d’enfants. Par ailleurs, la fille du président Asif Ali Zardari, Aseefa Bhutto Zardari, a été nommée ambassadrice itinérante pour l’éradication de la polio.
En mai dernier, une délégation pakistanaise de haut niveau a même effectué une visite en Inde pour tenter de comprendre la stratégie anti-polio de son voisin. L’Inde a été officiellement retirée de la liste des pays touchés par l’épidémie, en février 2012, et des équipes indiennes de santé publique ont travaillé notamment en Afghanistan, au Bangladesh, au Népal et au Nigeria. Reste à savoir si les deux frères ennemis arriveront à surmonter leurs antagonismes même pour une bonne cause…
Mais, en l’occurrence, le problème fondamental reste surtout la capacité du Pakistan à combattre ses extrémistes. Le gouvernement pakistanais ne sera en effet pas en mesure d’éradiquer la polio s’il n’est pas capable d’en finir avec l’islamisme né dans les années 1980 sous le règne du général Zia-ul-Haq.
Car, tandis que le virus continue de se répandre, l’insécurité générée par les Taliban a contraint les agences de l'ONU, qui appuient la campagne de vaccination, à suspendre leurs activités liées à la polio à travers le pays. Et les autorités à interrompre la vaccination dans les provinces de Khyber Pakhtunkhwa et du Sind, dont Peshawar et Karachi sont respectivement les capitales.