Un festival dédié au cinéma syrien s’est ouvert ce week-end au Forum des Images à Paris. Les œuvres projetées incluent des films ayant échappés à la censure syrienne, ainsi que des documentaires sur le conflit actuel.
Depuis un demi-siècle, les cinéastes syriens étaient contraints de travailler sous une censure paralysante ou de s'exiler, mais grâce à internet, une génération plus libre voit le jour, dont les images puisent leur inspiration au coeur du conflit qui ravage le pays.
Pour une semaine, à partir de samedi, à Paris, le Forum des Images présente une sélection d'oeuvres syriennes: certaines qui ont échappé aux ciseaux des censeurs depuis les années 70, et des films d'aujourd'hui, documents bruts sur la révolution qui enflamme le pays.
"On peut parvenir à faire des films en Syrie, mais il faut être courageux", ironise le documentariste Meyar Al-Roumi, qui est allé jusqu'à utiliser comme leurre des amis stars de télévision pour détourner l'attention de la police pendant ses tournages.
Il y a toujours des risques: en 2007, alors qu'il tournait un documentaire sur 6 chauffeurs de taxi de Damas, il a été dénoncé par l'un d'entre eux, qui s'est avéré être un agent des services secrets arrondissant ses fins de mois!
En 2001, son documentaire "Un cinéma muet" démontre comment l'Organisation nationale du cinéma, fondée en 1963, étrangle la création: des réalisateurs talentueux comme Ossama Mohammad ou Mohamed Malas -- montrés au festival -- n'ont réussi à faire qu'un ou deux films dans leur vie, étouffés par les exigences kafkaïennes du système.
"Le régime a réussi à tuer dans l'oeuf le cinéma syrien", résume Charif Kiwan, qui a fondé en 2010 à Damas Abounaddara, une compagnie de production diffusant de nouveaux talents sur internet.
"Aujourd'hui, c'est un champ de ruines. Il n'y a plus de salles de cinéma, plus de dispositif de financement. Les cinéastes doivent se tourner vers les festivals et les diffuseurs étrangers, un public qui n'est pas le leur", dit-il.
C'est le cas d'Al-Roumi ou du documentariste Omar Amiralay, mort l'an dernier, qui ont tourné sans autorisation officielle pour être diffusés sur Al-Arabiya, Al-Jazeera ou la chaîne franco-allemande Arte.
Mais internet et le conflit en cours ont ouvert les portes.
Nouvelle génération
Chaque vendredi, depuis avril 2011, un collectif rassemblé par Abounaddara diffuse un petit film d'une à cinq minutes sur le net: des témoignages de soldats déserteurs ou simples citoyens, le visage masqué, ou encore des oeuvres plus poétiques, avec toujours le conflit comme arrière-plan.
Basé à Paris depuis le début du conflit, Charif Kiwan, 44 ans, travaille via les réseaux sociaux avec des cinéastes autodidactes en Syrie. Agés de 20 à 40 ans, majoritairement des femmes.
"Il y a une génération qui s'est fait sa culture cinématographique toute seule, sur les réseaux sociaux, sur YouTube, qui est complètement désinhibée, libre. La révolution a réuni ces gens, et je crois que l'avenir du cinéma, il viendra de là", dit-il.
"Nous voulons montrer pourquoi les gens décident de descendre dans la rue, ce qui s'est passé dans leur tête, tout le côté social du mouvement", ajoute-t-il.
Leur travail vise en partie à corriger l'image donnée du conflit par les télévisions étrangères. Incapables de filmer sur place, elles se sont tournées vers les tournages amateurs du conflit, achetant des disques durs entiers pour illustrer les informations.
"Cela a eu des conséquences désastreuses", dit Kiwan. "Les militants avaient en tête tout le temps +Il faut que ça passe sur Al-Jazeera, et je sais ce qu'ils veulent+. Donc on filme le soldat qui tire sur la foule, le minaret touché par des balles", explique-t-il.
"Et la révolution a été réduite à une image absolument conventionnelle et formatée, où on voit des gens se faire descendre comme des lapins par des soldats barbares".
"C'est une réalité terrible, mais si nous réduisons la révolution à cela, on ne comprend plus rien."
AFP