La photo d’une Syrienne, sans voile, militant pour le droit des femmes, a été retirée sans explication de Facebook. Le mouvement "Uprising of the Women in the Arab World" s'indigne et s’interroge sur la ligne politique du réseau social.
Elles s’appellent Soha, Anas, Mira… Elles viennent de Syrie, du Liban, d’Arabie saoudite ou encore du Yémen. Toutes témoignent, sur le groupe Facebook "Uprising of the Women in the Arab World", de la contrainte d’être une femme dans les pays arabes. Le principe est simple : pour défier les tabous religieux et sociaux de leur région d’origine, ces épouses, ces jeunes filles ou encore ces mères, visage voilé ou non, postent sur le réseau social des photos d’elles accompagnées d’un message. Un témoignage de leur désarroi au quotidien, parfois direct - "Je soutiens le mouvement parce que mon corps et mon avenir n’appartiennent qu’à moi" -, parfois poétique - "Je soutiens le mouvement parce que, pendant 20 ans, je n’avais pas le droit de sentir le vent dans mes cheveux et sur mon corps".
Seulement voilà, la création de ce groupe, lancé début octobre par cinq féministes arabes - deux Libanaises, une Palestienne, une Saoudienne et une Égyptienne - ne semble pas du goût du géant des réseaux sociaux. Le 21 octobre dernier, alors que la page bat des records d’adhésion en attirant pas moins de 30 000 membres en quatre semaines, Facebook retire soudainement une photo postée dessus : le portrait d’une jeune Syrienne, Dana Bakdounis, cheveux courts, bras nus et tête dévoilée, tenant dans sa main son passeport sur lequel on peut voir son visage recouvert d’un voile. Tout un symbole.
Censure de la photo : erreur de Facebook ou démarche intentionnelle ?
"On a été scandalisées, bien sûr, mais on a tout de suite pensé à une erreur du réseau social", explique Yalda Younès, l’une des Libanaises administratrices de la page, contactée par FRANCE 24. "On a attendu mais les jours passaient et la photo n’était pas republiée. On a commencé à se poser quelques questions." Un étonnement d’autant plus légitime que la star de la Silicone Valley n’a accompagné son geste d’aucun message, ni d’aucune explication.
Le 28 octobre, face au mutisme du réseau social, les fondatrices du groupe décident de reposter la photo de la jeune Syrienne. "On savait que son portrait allait faire parler. Enlever son voile est très mal vu. C’est pire que de ne l’avoir jamais mis. C’est perçu comme un véritable acte de rébellion." Mais à peine remise en ligne, la photo est à nouveau retirée. Pis, le compte Facebook de Yalda est, dans la foulée, suspendu pendant sept jours. Sans explication. La thèse de "l’erreur" s’éloigne définitivement. Et la Toile s’enflamme autour du sujet.
"On a alerté les internautes. On était scandalisée. Et, dans le même temps, on a écrit à Facebook pour réclamer une explication", continue Yalda. Le groupe de Mark Zuckerberg ne répond pas. De quoi s’interroger sur la ligne politique du réseau social. Car les militantes se demandent si on a voulu les faire taire. "Je ne demande pas d’excuses, juste une explication. Pourquoi nous censurer ? Pourquoi retirer cette photo-là précisément ?", s’indigne Yalda.
Facebook bloque les comptes des administratrices
Le 31 octobre, nouveau retournement de situation : Facebook remet en ligne la photo de Dana. Mais ne réactive pas le compte de Yalda. Le 6 novembre, ce sont les pages des cinq administratrices qui sont bloquées. "J’ai reçu un avertissement me signifiant que mon compte serait suspendu 30 jours", ajoute Yalda. Cette fois-ci, le réseau social se fend d’un message : "Vous avez partagé un post qui viole les règles communautaires de Facebook". Lesquelles ? Pas de précisions.
À la colère cède alors la paranoïa : "Ils ont bloqué nos comptes le 6 novembre, le jour où nous n’avons posté que des photos en provenance d’Arabie saoudite. Nous voulions célébrer l’anniversaire d’un événement particulier : le 6 novembre 1990, un groupe de 47 Saoudiennes avaient pris le volant pour défier les autorités qui leur interdisaient de conduire. La coïncidence est troublante. Le jour où nous nous attardons sur ce pays, nos comptes sont bloqués. Je ne sais pas s’il y a eu des pressions de Riyad mais je constate qu’il y a des zones géographiques intouchables".
La photo de Dana censurée à cause d’un doute sur son identité…
Contacté par FRANCE 24, un porte-parole de Facebook se défend de toute atteinte à la liberté d’expression et affirme que les suspensions des comptes des fondatrices du groupe ont fait suite au non respect d’un "élément des conditions d’utilisations du site communautaire", sans jamais préciser le point en question.
En ce qui concerne Dana, Facebook explique que la photographie avait été censurée "par erreur" avant d’être rétablie. Une version confirmée par Yalda. "Il y a quelques jours, les administrateurs de Facebook se sont décidés à se justifier. Et vous n’allez pas croire ce qu’ils nous ont expliqué. Apparemment, ils auraient eu des doutes quant à l’identité de Dana parce qu’elle ne ressemblait pas à la photo collée sur le passeport qu’elle brandissait ! Depuis quand Facebook s’intéresse-t-il à l’identité réelle de ses membres ? Vraiment, existe-t-il plus malhonnête explication de la part d’un site qui se fait le champion du voyeurisme en tout genre ?"