L'affaire de la liste des détenteurs d'un compte bancaire en Suisse, publiée par le journaliste grec Costas Vaxevanis, est un "coup terrible" pour une classe politique déjà largement discréditée, assure l'économiste Costas Vergopoulos.
Après le journaliste Costas Vaxevanis, les responsables politiques grecs devront-ils eux aussi s'expliquer devant des juges ? Accusé de violation de données personnelles après avoir publié une liste de détenteurs potentiels de comptes bancaires en Suisse, le rédacteur en chef du magazine Hot Doc a été acquitté, jeudi, au terme d'un procès-évènement. Une décision accueillie avec satisfaction par les défenseurs de la liberté de la presse et par les Grecs, durement éprouvés par la crise et les plans d'austérité qui semblent épargner les plus riches.
Selon une source judiciaire, le procureur Grigoris Peponis va demander au Parlement d'examiner les éventuelles responsabilités des deux anciens ministres des Finances Georges Papaconstantinou et Evangélos Vénizélos - ce dernier dirige actuellement le parti socialiste Pasok, membre de la coalition tri-partite au pouvoir. Le parti néonazi Aube dorée, qui compte 18 députés, a, lui, déposé plainte contre les deux anciens ministres, ce vendredi, "pour manquement au devoir".
"Protéger des amis"
En 2010, c'est à Georges Papaconstantinou que la Française Christine Lagarde, aujourd'hui directrice du Fonds monétaire international (FMI) et alors ministre de l'Économie et des Finances, avait remis la liste de 2 059 noms de ressortissants grecs ayant un compte dans la branche genevoise de la banque HSBC. L'ancien ministre a affirmé avoir transmis la liste aux autorités fiscales, avant d'expliquer que ce document avait ensuite "disparu"... Son successeur, Evangélos Vénizélos, n'a pas non plus diligenté d'enquête.
S'il n'est pas illégal d'ouvrir un compte en Suisse, il est possible qu'une partie de ces détenteurs de compte soient coupables de fraude fiscale.
En France, comme en Italie ou en Espagne, les administrations fiscales ont examiné les dossiers des clients cités dans la "liste Lagarde" et certains ont subi des redressements fiscaux. Au Royaume-Uni également, 500 personnes ont été ou sont sous le coup d'une enquête de l'administration, qui les soupçonne de fraude.
"Il est clair que le système politique a tout fait pour que cette liste ne soit pas publiée [en Grèce], a déclaré jeudi Costas Vaxevanis au quotidien britannique The Guardian. Si vous regardez les noms, ou ceux des sociétés offshore liées à certains individus, vous vous rendez compte qu'ils sont tous liés à des gens au pouvoir."
"Cette affaire a pris une dimension extraordinaire, ajoute Costas Vergopoulos, professeur d'économie à l'Université Paris-VIII. Elle démontre la mauvaise foi des différents ministres, de tendances différentes, qui ont tous enterré la liste. L'explication la plus plausible est, en effet, qu'ils voulaient protéger des amis..."
Un "coup terrible" pour le gouvernement
Si le Parlement décide que les ministres doivent être jugés, ils pourraient être accusés de "négligence criminelle". Costas Vergopoulos doute cependant que le pouvoir politique s'empare "réellement" du problème. "Il va peut-être simplement s'attaquer à quelques cas emblématiques pour montrer qu'il fait quelque chose", indique-t-il.
Parmi ces cas emblématiques, il y a par exemple celui de Giorgos Voulgarakis, ancien ministre de la Culture de centre-droit. Lui et sa femme auraient un compte en Suisse, selon la "liste Lagarde". Giorgos Voulgarakis avait déjà été mis en cause dans une importante affaire de corruption. Un présentateur de télévision vedette figure aussi sur la liste, ainsi que des employés du ministère des Finances, des avocats, des hommes d'affaires, des femmes au foyer...
Cette affaire fragilise en tout cas dangereusement le gouvernement de coalition du Premier ministre Antonis Samaras au moment où il doit faire adopter un cinquième paquet de mesures d'austérité. "C'est un coup terrible pour le gouvernement, assure Costas Vergopoulos. Cela ternit énormément sa réputation."
Pour tenter de calmer le jeu, le ministre des Finances, Yannis Stournaras, a contre-attaqué dans la nuit. Il a affirmé devant le Parlement que les services de lutte contre la fraude fiscale travaillaient actuellement sur une liste "beaucoup plus cruciale et probablement plus utile que la liste Lagarde". Selon le ministre, 15 000 Grecs seront convoqués prochainement pour justifier les sommes qu'ils ont transférées à l'étranger depuis le début de la crise, en 2010.
L'Union européenne doit lutter contre l'évasion fiscale
Chercheur à l'École d'économie de Paris et spécialiste de l'évasion fiscale, Gabriel Zucman espère, lui, que cette affaire poussera l'Union européenne à mettre en place des mécanismes destinés à lutter contre ce phénomène. "L'Union européenne doit forcer les paradis fiscaux, et notamment la Suisse, à échanger leurs informations fiscales sur une base automatique, explique-t-il. Chaque année, les banques françaises envoient au fisc la liste de leurs clients et combien ils ont gagné. Il faut mettre en place la même chose au niveau européen."
"L'évasion fiscale est une dimension très importante de la sortie de crise de la Grèce", ajoute Gabriel Zucman. Dans une étude récente, trois économistes estiment que 28 milliards d'euros de revenus n'ont pas été taxés en Grèce en 2009. Certains des comptes de la "liste Lagarde" contiennent plus de 500 millions d'euros, selon Costas Vaxevanis.