Deux semaines avant un congrès crucial du Parti communiste chinois, le "New York Times" publie une enquête démontrant que la famille de Wen Jiabao a amassé plus de 2 milliards d'euros depuis l'arrivée au pouvoir de ce dernier.
L'article n'aura pas survécu longtemps sur la Toile chinoise. Dès sa publication le 25 octobrei par le "New York Times" (en anglais et en chinois), l'enquête affirmant que des proches du Premier ministre chinois Wen Jiabao ont amassé une fortune colossale a été censurée par Pékin. Sur l'équivalent chinois de Twitter, toute recherche avec les mots-clés "Wen Jiabao" et "New York Times" est interdit.
Selon le "New York Times", plusieurs proches de Jiabao se sont "extraordinairement enrichis" en 10 ans. Quelques exemples avancés par le quotidien :
La mère : Yang Zhiyun, "simple institutrice" dont le mari était éleveur de porcs. Il y a 5 ans, un investissement de 120 millions de dollars a été fait en son nom dans une société chinoise de services financiers.
La femme : Zhang Beili, surnommée "la reine des diamants" par le Times. Elle a fait fortune dans les pierres précieuses, secteur strictement régulé par l'Etat. Son ascension s'est accélérée après que son mari a atteint les marches les plus élevées du pouvoir.
Le fils : Wen Yunsong a connu une réussite fulgurante en revendant son entreprise de technologie à la famille d'un magnat de Hong Kong, puis en fondant une société de capital-investissement. Parmi ses associés figure le gouvernement de Singapour.
À moins de deux semaines de l'ouverture du 18e congrès du Parti communiste chinois, le quotidien américain assure que des membres de la famille de Wen Jiabao ont accumulé, depuis l'arrivée au pouvoir de ce dernier il y a dix ans, des actifs estimés à plus de 2,1 milliards d'euros (2,7 milliards de dollars). "De nombreux proches du Premier ministre, dont son fils, sa fille, son jeune frère et son beau-frère, sont devenus extraordinairement riches, détaille le "New York Times". Dans de nombreux cas, les noms des proches [de Wen Jiabao] se dissimulent derrière plusieurs paravents et des vecteurs d'investissement impliquant des amis, des collègues de travail et des associés."
Un système basé sur les "guanxi", les relations
Pour Fabienne Clérot, spécialiste de la Chine et chercheuse à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), ces éléments ne sont pas une "révélation". "Que Wen Jiabao soit devenu très riche pendant ses mandats est un secret de polichinelle. Il y a eu beaucoup de rumeurs autour de lui et de sa famille. Mais les montants évoqués par l'article sont étonnants."
"Le Premier ministre n'a pas forcément organisé lui-même l'enrichissement de ses proches, poursuit Fabienne Clérot. Mais sa femme, son fils, ses neveux ont eu accès à des personnalités qui leur ont fait des cadeaux parce qu'ils étaient proches du pouvoir. La Chine fonctionne sur le système des 'guanxi', des relations [Les "guanxi", ou réseaux relationnels qui favorisent l'échange de faveurs entre deux personnes, sont une idée centrale de la société chinoise, ndlr]. Comme dans d'autres pays, la collusion entre les milieux des affaires et de la politique est aussi très forte. L'État intervient énormément dans l'économie et la part des entreprises publiques est encore très importante."
Très populaire, surnommé "grand-père Wen", Wen Jiabao a régulièrement mis en avant ses origines modestes- "pendant mon enfance, ma famille était extrêmement pauvre", a-t-il répété lors d'un discours l'an dernier. Il a aussi affiché à plusieurs reprises sa volonté de lutter contre la corruption, notamment au sein des élites et dans le secteur public.
Lors du prochain congrès du PCC, qui doit s'ouvrir le 8 novembre, les nouveaux dirigeants chinois seront désignés. Wen Jiabao quittera son poste au terme de deux mandats, tout comme le président Hu Jintao.
it"China bashing"
Les révélations du "New York Times" peuvent-elles bouleverser la tenue de ce congrès ? "Absolument pas", assure Pierre Picquart, docteur en géolopolitique à l'Université Paris VIII et spécialiste de la Chine. "On sait qui va succéder à Wen Jiabao, à Hu Jintao ; ils vont laisser la place de façon légale. Tout est bien cadré. Je ne pense pas que la publication de cette enquête corresponde à une tentative de déstabilisation interne au moment où Wen Jiabao passe le flambeau. D'ailleurs, certains éléments de l'article me paraissent exagérés."
Pour Fabienne Clérot, cette enquête risque pourtant bien de "faire des vagues". Malgré la censure, l'information circule sur les réseaux sociaux. "Cette affaire va surtout renforcer l'image que le peuple a de ses dirigeants, explique la chercheuse. Des sondages montrent que pour les Chinois, les inégalités, la corruption et le népotisme sont les principaux problèmes de la société."
Les deux experts estiment en tout cas que la publication de cette longue enquête au moment même où vont se tenir des élections cruciales aux États-Unis et en Chine n'est pas un élement anodin. "Les deux candidats à la présidence américaine, et notamment le républicain Romney, ont intérêt à taper sur la Chine", considérée comme une menace pour l'hégémonie des États-Unis, explique Pierre Picquart. La campagne est en effet marquée par un véritable "China bashing", le Mitt Romney ayant par exemple accusé Pékin de voler aux États-Unis "des idées et des emplois".
Les autorités chinoises ont, elles, dénoncé les "arrières-pensées" des journalistes du "New York Times". Elles jugent l'article "diffamatoire".