
Le rapport de l’OCDE sur la lutte contre la corruption en France estime que les entreprises y bénéficient d’un sentiment de quasi-impunité et que l’instauration de l'indépendance du parquet devient une urgence.
Peut mieux faire. Telle est la conclusion du rapport de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) sur la lutte contre la corruption en France. Ce document, rendu public ce mardi 23 octobre, dresse un tableau sans complaisance des efforts - ou de leur absence - entrepris par Paris pour se conformer à la Convention de l'OCDE contre la corruption, entrée en vigueur en 2000.
Principal reproche de cette organisation internationale : la quasi-impunité de fait dont semblent bénéficier les entreprises françaises dans les affaires de corruption d’agents publics étrangers. “Le groupe de travail de l’OCDE sur la corruption est préoccupé par la faible réactivité des autorités dans des affaires impliquant des entreprises françaises pour des faits avérés ou présumés de corruption à l’étranger”, peut-on ainsi lire dans ce rapport de 95 pages.
L’OCDE relève, en effet, qu’en 12 ans d’existence du délit de corruption transnationale, une seule personne morale a été condamnée*. Et encore : le jugement en question, qui remonte à 2009, n’est pas définitif. Au regard du poids des grandes entreprises dans le grand jeu de la concurrence mondiale, cette absence de sanction étonne le groupe de travail de l’OCDE.
Les bons mots de Christiane Taubira
Depuis l’entrée en vigueur de la convention anti-corruption, le parquet n’a instruit que 33 procédures portant sur des faits de corruption. Sur l’ensemble, seules quatre se sont soldées par une condamnation d’une personne physique. Une maigre ardoise que l’OCDE met, en partie, sur le compte de l’exigence de réciprocité d'incrimination. En clair : si, dans le pays où les faits se sont produits, le délit n’existe pas, les poursuites et la condamnation sont difficiles à obtenir en France.
Mais au delà de cet aléa juridique, le rapport pointe aussi du doigt le problème de l’indépendance du parquet qui est le bras judiciaire du ministère de la Justice. L’OCDE regrette ainsi qu’”aucune information n’a[it] été transmise sur les raisons pour lesquelles 38 affaires répertoriées, dans lesquelles des entreprises françaises sont mentionnées, n’ont pas même donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire”.
Reste que l’organisation internationale se félicite d’”inflexions” prises par la nouvelle ministre de la Justice, Christiane Taubira. L’OCDE se réjouit ainsi de l’engagement qu'elle a pris de ne pas donner d’instruction individuelle aux magistrats du parquet. “Ce que Christiane Taubira a dit est très bien et va dans le bon sens, mais maintenant, place aux actes”, assure de son côté Jacques Teray, vice-président de l’ONG de lutte contre la corruption Transparence International France, contacté par FRANCE 24.
Le rapport de l’OCDE reprend, en effet, peu ou prou les conclusions publiées en septembre dernier par Transparence International. “Ce document correspond malheureusement aux constatations que nous avons également faites”, remarque Jacques Teray.
À la traîne
Un état des lieux qui, comme le souligne ce spécialiste, place “la France à la traîne par rapport à ses principaux voisins européens”. Il y a eu 176 affaires instruites impliquant des entreprises pour des faits de corruption en Allemagne depuis 2000, et “l’Italie et la Grande-Bretagne sont également en avance sur nous”, déplore Jacques Teray.
Si la France ne figure clairement pas parmi les bons élèves en la matière, elle n’est pas non plus un cancre. D’après le rapport de Transparence International, l’Hexagone se situe parmi les pays qui font une “application modérée de la convention contre la corruption de l’OCDE”. Elle s’y trouve en compagnie du Japon, du Canada ou encore de l’Espagne.
Pour améliorer la situation, l’OCDE, tout comme Transparence International, met l’accent sur la nécessité de renforcer le pouvoir du procureur. Le rapport préconise avant tout d’allouer plus de moyens humains et financiers à la lutte contre la corruption. L’ONG, de son côté, en appelle même à la création d’un “procureur national indépendant”.
Le groupe de travail de l’OCDE suggère en outre de rehausser le plafond des amendes maximales pour des faits de corruption. À l’heure actuelle, une entreprise ne peut être condamnée qu’à 750 000 euros, ce qui n’est guère dissuasif pour des multinationales.
*Le rapport ne cite pas le nom de l’entreprise, mais il s’agit du groupe Safran, reconnu coupable, en première instance, d'avoir versé des pots-de-vin à des officiels nigérians entre 2000 et 2003. Safran a fait appel de cette décision.