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Le blasphème écarté de la Constitution tunisienne ?

Le président de l’Assemblée nationale constituante Moustapha Ben Jaafar (photo) a annoncé que la pénalisation du blasphème serait retirée du projet de Constitution. Il s'agit pourtant d'un engagement phare d’Ennahda, le parti islamiste au pouvoir.

À la surprise générale, le président de l’Assemblée nationale constituante tunisienne Moustapha Ben Jaafar a annoncé à l’AFP que la criminalisation de l’atteinte au sacré serait exclue de la première version de la nouvelle Constitution, qui sera débattue en novembre par les députés.

"Il n'y aura pas de criminalisation de l'atteinte au sacré, bien sûr", a affirmé M. Ben Jaafar, dont le parti de centre-gauche Ettakatol est allié aux islamistes d'Ennahda, majoritaires au sein de la coalition qui assure la transition démocratique. "Ce n'est pas parce que nous sommes d'accord avec les atteintes au sacré, mais parce que le sacré est très très difficile à définir", a-t-il ajouté.

Un contexte particulier

La loi était pourtant très attendue par l’aile la plus conservatrice de la coalition. Il s’agit en effet d’un engagement symbolique d’Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. En juillet dernier, lors du congrès du parti, son leader Rached Ghannouchi s’était engagé à ce que le blasphème et toute forme d’atteinte au sacré soient officiellement considérés comme des délits et reconnus en tant que tels par la constitution et le code pénal. Sa proposition avait été accueillie par une levée de boucliers de la gauche et d’organisations de défense de la liberté d’expression.

Interrogé par FRANCE 24, Beligh Nabli, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris, tient en premier lieu à rappeler le contexte dans lequel cette promesse a été faite. Peu avant le congrès d'Ennahda, deux jeunes artistes tunisiens avaient été condamnés à sept ans et demi de prison pour avoir caricaturé le prophète et exprimé leur athéisme.

Un mois plus tôt, une exposition d’art contemporain à la Marsa, une banlieue de Tunis, avait provoqué l’ire des salafistes tunisiens, qui s'étaient empressés de détruire certaines œuvres jugées blasphématoires. Plusieurs jours d’émeutes s’en étaient suivis, à l’instigation notamment de membres du courant salafistes, proches d’Ennahda, indignés par l’atteinte au sacré. "Il y a alors eu une volonté d’Ennahda de formaliser la criminalisation du blasphème en l’inscrivant dans la Constitution", constate Beligh Nabli.

Par la suite, les émeutes anti-américaines provoquées par une vidéo hostile à l'islam, ainsi que les caricatures du prophète Mahomet publiées par "Charlie Hebdo" en France, ont conforté le parti au pouvoir dans son intention. "Ghannouchi a été jusqu’à réclamer qu’une telle loi existe à l’échelle internationale", poursuit-il.

"Une prise de position qui n’engage que Ben Jaafar ou son parti"

Pour le chercheur, la déclaration du président de l’Assemblée constituante ne signifie pas pour autant que la pénalisation de l’atteinte au sacré ne sera pas inscrite dans la Constitution. "Cela n’engage que Ben Jaafar ou son parti Ettakatol", estime Beligh Nabli. Et d’ajouter : "Tout dépend maintenant de la façon dont Ennahda va réagir. S’il ne confirme pas cette annonce, elle ne constitue pas une avancée".

Beligh Nabli rappelle que le parti de Moustapha Ben Jaafar est la cible de vives critiques en raison de son alliance avec les islamistes. "Cela peut être une façon de montrer que son parti ne se soumet pas à Ennahda et de manifester une certaine marge de liberté pour désamorcer la critique", analyse-t-il

Pour David Thomson, correspondant de FRANCE 24 à Tunis, la sortie de Ben Jaafar est également à prendre avec précaution : "Cette déclaration arrive en pleine polémique après la parution d’une vidéo montrant Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahda, en train de rassurer des salafistes et qui fait beaucoup de bruit en Tunisie depuis deux jours".