Une monnaie à un niveau historiquement bas face au dollar, des sanctions internationales de plus en plus sévères : l’économie iranienne est au plus mal. Mais pour plusieurs experts un "printemps perse" n'est pas à l'ordre du jour.
Les forces de l’ordre ont effectué, mercredi 3 octobre, une descente en plein cœur de Téhéran pour arrêter des revendeurs illégaux de devises étrangères. Cette intervention a engendré des échauffourées avec les personnes venues protester contre la chute de la monnaie nationale. “C’est une action musclée qui révèle au grand jour les craintes persistantes du régime face à la grogne sociale en Iran”, analyse Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), contacté par FRANCE 24. Une partie des magasins du grand bazar de Téhéran étaient, en outre, fermés pour protester contre la dégradation de la situation économique.
Ce signe de nervosité des autorités intervient alors que le cours de la monnaie locale, le rial, atteignait des niveaux historiquement bas face au dollar ces derniers jours. Il fallait, mercredi, 34 000 rials pour obtenir un dollar en Iran contre 22 000 une semaine auparavant. En un an, il a perdu 75 % de sa valeur face au billet vert.
Conséquence principale de cette chute : l’envolée des prix pour les Iraniens. Ainsi, la viande et le riz coûtent, respectivement, 48 % et 34 % de plus qu’il y a quelques mois. Une évolution tellement inquiétante que le régime a décidé, depuis cet été, de ne plus publier le taux officiel de l’inflation.
Classe moyenne frappée
Cette dépréciation de la monnaie iranienne pèse lourdement sur le coût des importations et risque de priver le pays de produits consommés notamment par les Iraniens les plus aisés. “La détérioration de la situation économique frappe durement les classes moyennes qui avaient pourtant beaucoup progressé ces dernières années”, regrette Thierry Coville.
Paradoxalement, les sanctions internationales font, en un sens, le jeu du régime. Avec la crise qui frappe durement les classes moyennes le "régime a moins à craindre car elles représentent la frange de la population la plus en faveur des réformes", souligne Christian Emery, spécialiste de l’Iran à la London School of Economics.
Face à cet étranglement économique, le régime fait de son mieux pour se défendre. “Est-ce que la situation du marché de devises est due aux sanctions ? Non, ce n'est pas le cas et ce n'est pas comme si les revenus en devises n'étaient pas suffisants pour répondre aux besoins du pays", assure Mehdi Mohammadi, un proche du Conseil suprême de la sécurité nationale, dans un éditorial publié mardi dans le quotidien "Vatan Emrouz".
Le président Mahmoud Ahmadinejad, en personne, est aussi monté au créneau mardi, lors d’une conférence de presse, pour assurer que si “[nos] ennemis ont réussi à réduire [nos] ventes de pétrole”, le pouvoir “réussira à compenser ce manque à gagner”, sans pour autant préciser comment.
Un printemps perse ?
Car le rial en berne serait un signe de l’efficacité des sanctions économiques internationales contre l’Iran mises en place par les États-Unis depuis 2010. La décision de l’Union européenne de mettre un terme, le 1er juillet 2012, à l’achat de brut iranien a, en outre, privé le régime d’un marché qui représentait 20 % de ses exportations de pétrole.
Cette asphyxie économique a, d'ailleurs, été saluée par Washington qui a évoqué, mardi, “la pression internationale implacable et de plus en plus réussie que nous faisons tous peser sur l'économie iranienne”.
D'aucuns appellent désormais de leur vœux un "printemps arabe" version iranienne. "Les manifestations de l'opposition qui ont eu lieu en Iran en juin 2009 vont revenir avec plus de force”, a ainsi assuré Avigdor Liberman, ministre israélien des Affaires étrangères, dans un entretien accordé le 29 septembre au quotidien israélien de gauche "Haaret’z".
"Je ne vois pas de prémices à un soulèvement populaire qui renverserait le régime en place”, estime, pour sa part, Thierry Coville. Ce spécialiste de l’Iran juge que le “scénario idéal” voulu par les États-Unis - un départ forcé de Mahmoud Ahmadinejad et la mise en place d’un pouvoir plus proche des positions américaines - n’est pas prêt de voir le jour.
“D’abord, Mahmoud Ahmadinejad est déjà très isolé au sein du pouvoir et l’aggravation de la situation économique risque simplement de lui donner des arguments pour dire que la faute incombe exclusivement aux puissances occidentales et à leurs sanctions”, rappelle Thierry Coville. “À l’heure actuelle, il sert essentiellement de pare-feu pour protéger le leader suprême Sayyid Ali Khamenei qui attend que le mandat d’Ahmadinejad arrive à terme”, renchérit Christian Emery.
Mais surtout, rien ne dit que le successeur de l’actuel président sera plus souple sur la question du nucléaire. “L’Iran est un pays nationaliste qui voit dans le programme nucléaire une défense de ses intérêts nationaux”, souligne Thierry Coville.