Le ministre de l’Education Vincent Peillon souhaite voir la "morale laïque" enseignée à l’école. Une initiative dont certains craignent qu’elle ne se heurte aux convictions personnelles des élèves et de leurs familles.
Une nouvelle fois, elle revient sur le devant de la scène, parmi les propositions visant l'amélioration du système éducatif : la morale. Cette fois c’est de "morale laïque" dont il s’agit, une notion que Vincent Peillon, l’ancien professeur de philosophie devenu ministre de l’Éducation, souhaiterait voir enseigner à l’école.
"La laïcité, ce n'est pas la simple tolérance, ce n'est pas ‘tout se vaut’, c'est un ensemble de valeurs que nous devons partager", a ainsi expliqué le ministre lors de sa conférence de presse de rentrée la semaine dernière. "Pour les partager, il faut qu'elles nous soient enseignées et qu'elles soient apprises ".
Vincent Peillon, à qui cette notion héritée de la pensée de Jules Ferry est chère, a ainsi fixé "une très grande ambition" à une mission de réflexion, qui dès la rentrée planchera sur "une refonte des programmes". Et il insiste sur la distinction entre "morale laïque" et "instruction civique".
"On va au devant de différends avec certaines religions et de polémiques"
"Si la morale laïque c’est comprendre ce qui est juste, distinguer le bien du mal", comme l’affirmait Vincent Peillon dans un entretien accordé au "Journal du Dimanche", force est de constater que les propos du ministre sont de nature à semer le trouble quant au contenu de ces cours. Car telle est la prétention de la quasi-totalité des religions.
"Ce n’est pas à l’école d’enseigner la différence entre le bien et le mal", s’indigne Dimitri Casali, historien et auteur de l’"Histoire de France interdite", interrogé par France 24. Selon lui, le gouvernement cherche des solutions à "la crise gravissime que traverse l’école républicaine, mais la réponse n’est pas dans ces mesures".
Dimitri Casali prône pour sa part un retour aux fondamentaux, à l’histoire, notamment. "On enseigne une heure d’histoire dans les collèges de France, bien moins qu’en Europe ou en Italie par exemple", déplore-t-il. "C’est en puisant dans l’histoire que l’on peut transmettre des valeurs de citoyenneté et à travers les grandes figures que l’on voit la complexité de l’âme humaine". En s’attaquant aux notions de bien et de mal, "on va au devant de différends avec certaines religions et surtout de polémiques », prédit l’historien.
Interrogé par l’AFP, le sociologue de la laïcité Jean Baubérot voit dans la proposition de Vincent Peillon une initiative positive. Elle n’en reste pas moins pleine de difficultés. Que peut être la morale partagée dans une société pluraliste où plusieurs morales convictionnelles cohabitent ?", s’interroge-t-il. Toute la question sera donc de trouver "un fondement partagé" qui peut être enseigné sans porter atteinte aux convictions ou croyances des uns et des autres. Une entreprise ambitieuse qui reviendra certainement aux enseignants.
Inquiétude des enseignants et des parents d’élèves
Les enseignants, quant à eux, pensent généralement que ces annonces manquent de clarté. "La question essentielle est de savoir ce qu’on entend par cette formule un peu vieillotte d’enseignement de la morale", souligne ainsi Denis Adam, secrétaire national de l’Unsa éducation, fédération majoritaire des métiers de l’éducation joint par FRANCE 24. Cet enseignant explique que la mission de l’école est déjà d’enseigner la citoyenneté et le vivre ensemble par divers moyens en classe ou même dans la cour, mais il n’est pas favorable à "des cours magistraux de morale". "On ne va quand même pas revenir à l’école de Jules Ferry" s’indigne-t-il.
Les précisions données par Vincent Peillon sont pour le moins conceptuelles et manquent de précision sur la nature concrète de l’enseignement. "Le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s'émanciper, car le point de départ de la laïcité c'est le respect absolu de la liberté de conscience", a-t-il en effet précisé. "Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d'arracher l'élève à tous les déterminismes : familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix".
Une phrase qui interpelle Valérie Marty, présidente de la Fédération des Parents d’élèves de l’enseignement public. "Quand je lis une phrase comme celle-ci, je suis très inquiète sur ce qu’entend le ministre par l’enseignement de la morale laïque", confie-t-elle à FRANCE 24. Car qu’est-ce dire, si ce n’est qu’en " arrachant l’enfant au déterminisme familial ou ethnique", l’école déferait ce que construit la famille ?
Selon elle, c’est à la famille de transmettre comme elle l’entend ses valeurs, sa position sur nombre de sujets auxquels sont confrontés les jeunes, comme par exemple l’homosexualité ou encore l’avortement. "La majorité des parents sont favorables à ce qu’une éducation à la citoyenneté et au vivre ensemble soit faite à l’école, mais il ne faut pas aller au-delà, sinon ce sera le conflit ouvert entre l’école et les parents d’élèves, sans compter la position inconfortable qui sera réservée aux enseignants", s’inquiète Valérie Marty.
La laïcité, valeur républicaine par excellence, est régulièrement chahutée par diverses polémiques, comme celle des "mamans accompagnantes" voilées lors de sorties scolaires ou celle de la viande halal à la cantine. Et ce n’est pas la première fois que les politiques souhaitent que l’école transmette des valeurs morales détachées de toute religion. Les prédécesseurs de Vincent Peillon au ministère de l’Éducation, Luc Chatel ou Xavier Darcos, avaient déjà tenté de réintroduire la morale dans les programmes scolaires.