Après la chute d'Hosni Moubarak en février 2011, de nombreux pays, dont l'Union européenne, s'étaient engagés à geler les avoirs de la famille de l'ex-dictateur et des proches du régime. Londres est aujourd'hui accusé de tarder à prendre des mesures.
L’argent du clan Moubarak continue de prospérer en Grande-Bretagne. Dix-huit mois après la chute du président Hosni Moubarak, une enquête menée conjointement par la BBC, le journal "The Guardian" et le quotidien arabophone "Al-Hayat" révèle que le gouvernement britannique rechigne à geler les biens des caciques de l’ancien régime égyptien. Plusieurs millions de dollars seraient ainsi toujours aux mains de leurs propriétaires alors même que des sanctions internationales ont été prises, notamment par l’Union européenne, pour geler ces avoirs.
D’après les documents cités dans cette enquête, des biens immobiliers et des sociétés basés à Londres appartiennent toujours à l’ancienne garde rapprochée du président déchu. À Knightsbridge, un quartier cossu de Londres, une luxueuse demeure estimée à 10 millions d’euros est toujours la propriété de la famille Moubarak, via une société basée au Panama, un paradis fiscal.
Cette adresse de Wilton Place figure sur le certificat de naissance de Farida, la fille de Gamal Moubarak née en 2010. Elle apparaît également sur les registres de la société MedInvest Associates, un fond d'investissement détenu par une société chypriote, dont Gamal Moubarak, le fils aîné de Hosni Moubarak longtemps considéré comme l’héritier désigné du régime, était l’administrateur jusqu’à sa dissolution volontaire, en février 2012, soit un an après la révolution égyptienne.
"Le gouvernement britannique ne veut faire aucun effort"
"Le Royaume-Uni est l’un des pires pays quand il s’agit de rechercher et de geler les avoirs égyptiens", accuse le ministre de la Justice égyptien, Mohamed Mahsoub, interrogé par la BBC. "Le gouvernement britannique ne veut faire aucun effort pour recouvrer les sommes en question", déplore sur la chaîne britannique Assem al-Gohary, chef de l’autorité égyptienne de l’enrichissement illicite. "Il nous demande de leur apporter des preuves. Est-ce raisonnable ? Nous sommes en Egypte et nous traquons de l’argent au Royaume-Uni", conclut-il.
Après la chute de Moubarak, il a fallu attendre 37 jours pour que la Grande-Bretagne décide de geler les avoirs égyptiens. D’autres pays européens, à l’instar de la Suisse, pourtant réputée pour être un paradis fiscal et bancaire, ont en revanche immédiatement réagi. Ainsi, là où les autorités britanniques ont gelé 107 millions d’euros de biens, la Suisse a immobilisé 562 millions d’euros.
Moubarak, le "chouchou des Occidentaux"
Le Royaume-Uni a-t-il fait preuve de mauvaise volonté ? Pour Karim Bitar, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et spécialiste du Proche et du Moyen-Orient, interrogé par France24.com, cela ne fait aucun doute. "Cela montre que les vieilles habitudes ne disparaissent pas facilement. Les leaders occidentaux n’ont pas tiré les leçons des révolutions arabes, analyse-t-il. Hosni Moubarak a toujours été l’enfant chéri, le chouchou des Occidentaux. Le gouvernement britannique a failli en montrant une connivence avec un système rejeté par les Égyptiens. C’est aussi une preuve de mépris pour la souveraineté populaire issue de la révolution égyptienne."
Reste que le traçage des avoirs et des biens est une opération complexe. "Avant de restituer les biens, encore faut-il pouvoir les identifier. La volonté politique n’est pas toujours en cause car la question peut s’avérer techniquement très compliquée. Il peut y avoir des sociétés prête-noms ou écrans identifiées dans des paradis fiscaux", précise Maud Perdriel-Vaissière, déléguée générale de l’association Sherpa interrogée par FRANCE 24. "Un dictateur ne place pas son argent sous son nom", souligne pour sa part Pierre Conesa, chercheur à l’Iris et auteur de "L’argent des dictateurs". Qui ajoute : "Il le disperse dans des fondations basées dans des paradis fiscaux car multiplier les pays permet d’empêcher la justice de travailler car on peut toujours opposer le droit à la justice".
Estimer le montant des avoirs du clan Moubarak s’apparente donc à une gageure. Des chiffres, parfois farfelus, ont circulés depuis la chute du Raïs. Il y a quelques mois, le magazine "Forbes" avait évalué la fortune des Moubarak entre 40 et 70 milliards de dollars. Pour Karim Bitar, il s’agit plutôt de "plusieurs centaines de millions de dollars".
"90 % des sommes disparaissent dans la nature"
Et, si le gel des biens permet de les sauvegarder le temps que l’enquête judiciaire détermine leur origine, "la confiscation n’intervient qu’après une décision de justice. La procédure est très longue", ajoute Maud Perdriel-Vaissière. Sans compter qu’"en règle générale, 90 % des sommes disparaissent dans la nature", insiste Karim Bitar.
Pour s’en convaincre, explique Pierrre Conesa, il suffit de penser à Joseph-Désiré Mobutu. "Lors de sa chute, sa fortune personnelle a été estimée à 8 milliards de dollars, somme qui correspondait à l’époque à la dette publique du Zaïre. Malgré la demande de restitution, la Suisse n’a trouvé qu’un dixième de cette somme sur ses comptes. Une grande partie de l’argent avait servi à financer le clientélisme."