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"Mur de drones" : l’Europe peut-elle se barricader contre la menace russe ?
Plusieurs pays européen se sont réunis, vendredi, pour évoquer un plan de “mur de drones”. Une idée qui a le vent en poupe alors que les incursions de drones dans l’espace aérien de pays européens se multiplient. Les contours de ce programme reste cependant flou et les obstacles pour parvenir à un système de défense anti-drones sont nombreux.
L'Union européenne espère pouvoir se doter d'un "mur de drones" à sa frontière à l'est afin de mieux se protéger contre les incursions des engins qui seraient envoyés par Moscou. © Studio graphique France Médias Monde

Trop, c’est trop ? Dix pays européens – dont l’Ukraine – se rencontrent vendredi 26 septembre pour tenter de finaliser le plan de construction d’un "mur de drones", censé protéger des incursions venues du froid russe. Ils ont officiellement lancé le projet, soutenu par le Commission européenne.

Un système qui a vocation à déployer des moyens de détection et de destruction sur les frontières orientales de l’Union européenne, récemment violées par des drones en Pologne et en Roumanie, et par des MiG-31 en Estonie.

Cette réunion intervient alors que plusieurs aéroports danois et un aéroport norvégien ont dû être fermés temporairement ces derniers jours en raison de survols de drones non identifiés, qui pourraient avoir été lancés depuis des navires ayant des liens avec la Russie.

Un mur en 12 mois ?

Dans le cas des survols anonymes, les drones n’ont pas été retrouvés et la Russie apparaît comme le principal suspect. Les autorités danoises estiment que ces survols sont l’œuvre d'un "acteur professionnel" et constituent une "menace systématique", mais n’accusent pas encore Moscou, qui nie farouchement.

"Il est vital à l’heure actuelle de trouver comment se protéger contre la multiplication des incursions de drones. Et au plus vite, car le paysage sécuritaire a déjà changé en Europe avec un espace aérien contesté", souligne James Patton Rogers, spécialiste des drones militaires à l’université Cornell.

D’où l’émergence de l’idée d'un "mur de drones". La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, y a même fait officiellement référence lors de son discours sur l’état de l’Union européenne devant le Parlement européen le 10 septembre. Pour elle, ce projet doit représenter "le fondement d’une défense européenne crédible".

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"Mur de drones" : l’Europe peut-elle se barricader contre la menace russe ?
© France 24
05:54

Son commissaire européen à la Défense, le Lituanien Andrius Kubilius, est allé plus loin, affirmant qu’il fallait réussir à bâtir ce mur en "12 mois" lors d’un entretien accordé mercredi au site Euractiv.

Trop optimiste ? Probablement, estiment les experts interrogés par France 24, mais "tout dépend de ce qu’on appelle 'mur de drones'", estime James Patton Rogers. Il ne faut, en effet, pas imaginer un mur qui rendrait l’Union européenne imperméable à toute incursion venue de Russie ou de Biélorussie, les deux principales menaces en la matière. "C’est plutôt un appel politique à agir, car il n’existe pas encore de cadre technique défini pour un tel système de défense antidrones", note Julian Pawlak, spécialiste de la sécurité de la région baltique à l’université de la Bundeswehr (l'armée allemande) à Hambourg.

Mieux détecter les drones

En l'occurrence, le plus "rapide" à mettre en place serait le volet "détection" d’un tel mur, a assuré Andrius Kubilius. La vingtaine de drones qui a pu entrer dans l’espace aérien polonais début septembre et les incursions répétées au Danemark ces derniers jours prouvent que les pays européens sont dépourvus face à cette menace.

Mieux prévenir l’entrée de drones "hostiles" dans l’espace aérien d’un pays de l’UE nécessite "probablement un système à plusieurs couches de capteurs et de détecteurs", souligne Justinas Lingevicius, spécialiste des questions de sécurité liées aux nouvelles technologies à l’université de Vilnius. Les éventuels radars ne seraient qu’un élément de cette détection renforcée. "Pour identifier la présence de drones, il existe des appareils comme les capteurs capables de traiter les signaux acoustiques ou encore surveillant différentes fréquences électroniques", précise Bruno Oliveira Martins, spécialiste des questions de sécurité liées aux technologies émergentes au Peace Research Institute Oslo (Prio). Les drones peuvent produire des sons spécifiques et être téléguidés sur certaines fréquences radio.

Ensuite, l’UE pourrait ajouter la brique 'élimination de la menace' à ce mur. Pour ce faire, il y a l’embarras du choix. "La méthode la plus courante consiste à brouiller les capteurs des drones en les noyant sous une avalanche de signaux radio. Il est aussi possible d’en prendre le contrôle en 'hackant' leur système pour le neutraliser", explique Bruno Oliveira Martins. Enfin, ces drones peuvent être détruits "soit à l’aide de projectiles comme des petits missiles, soit en envoyant d’autres drones les percuter", énumère cet expert.

Mur utopique ?

Ce "mur de drones" idéal se heurte cependant à bon nombre d’obstacles pratiques, à commencer par ses limites géographiques. A minima, "ce système de défense devrait probablement s’étendre le long de la frontière à l’est des dix pays qui participent à la réunion ce vendredi [Finlande, Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Bulgarie, Danemark, Roumanie, Hongrie et Slovaquie]", estime Justinas Lingevicius.

Mais un dispositif frontalier peut ne pas suffire. "La menace peut aussi venir de l’intérieur de l’Europe. Dans le cas des drones au Danemark par exemple, l’opération a pu être menée depuis un autre pays européen", souligne Julian Pawlak. Un mur serait ainsi inutile si la Russie réussit à implanter des agents dans un pays européen.

C'est ainsi qu'en Pologne, les autorités ont interpelé deux jeunes – une Biélorusse et un Ukrainien –, accusés d'avoir fait voler un drone au-dessus du palais présidentiel à Varsovie le 15 septembre.

Un tel "mur de drones" a aussi des limites technologiques. "Les drones deviennent de plus en plus petits et, de ce fait, sont plus difficiles à repérer. D’autant plus qu’ils se déplacent de plus en plus vite", prévient Bruno Oliveira Martins.

Il faut également compter sur l’omniprésente intelligence artificielle. Dans le domaine des drones, celle-ci "permet de concevoir de larges essaims de drones capables de voler en formation et de manière autonome", souligne Bruno Oliveira Martins. Un tel nuage de drones serait susceptible de saturer les capacités d’interception d’un "mur de drones".

"Il y a aussi des questions pratiques qu’il faut se poser. Avons-nous déjà la technologie nécessaire ? Pouvons-nous produire suffisamment de drones ? Et combien de temps faudrait-il pour former leurs pilotes ?", énumère Justinas Lingevicius.

Jeu du chat et du drone

Et même si un éventuel plan européen prenait en compte tous ces aspects, il resterait le problème de la rapide obsolescence des mesures antidrones. C’est un jeu du chat et du drone, et la guerre en Ukraine "a démontré que la durée de vie des drones et des systèmes pour les contrer est d’environ six semaines", explique James Patton Rogers. Après, il faut mettre à jour les capacités pour s’adapter.

Le "mur de drones" représente donc un objectif ambitieux qui "nécessitera des investissements continus pour rester efficace face à une menace en constante évolution", précise James Patton Rogers. "C’est clairement un programme très cher", reconnaît Julian Pawlak.

D’où le dernier obstacle, d’ordre politique et institutionnel. La Commission a dévoilé mi-septembre une enveloppe de 150 milliards d’euros en prêts pour améliorer la "défense européenne", dont une grande partie serait distribuée aux pays d’Europe de l’Est. "Il risque d’y avoir des débats entre pays pour savoir comment seront distribués ces fonds", estime Julian Pawlak.

Des pays comme la Slovaquie et la Hongrie – présentes à la réunion de vendredi et connues pour leur proximité avec Moscou – pourraient jouer les trouble-fête pour retarder le plan de défense antidrones.

L’Europe connaît des problèmes de retard en matière de défense commune. "Les processus sont assez lents et il est légitime de se demander si l’Union européenne sera capable de suivre le rythme des innovations", estime Justinas Lingevicius.

Heureusement pour l’UE et ses lourdeurs administratives, "le rythme de l’innovation ne va pas être toujours aussi rapide", prévoit Julian Pawlak. De toute façon, pour les experts interrogés, ce n’est pas une raison pour ne pas s’atteler à la tâche. "Les drones sont une menace qui ne va pas s’en aller du jour au lendemain. Elle existera encore après la fin de la guerre en Ukraine", souligne Julian Pawlak. Autant poser au plus vite la première pierre.